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Jouer avec le temps / François Carrassan

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Vient de paraître aux Cahiers de l'Égaré

Jouer avec le temps

(1995-2008)

de François Carrassan

Ce petit livre au format 12X17, de 72 pages, raconte les 12 années de François Carrassan comme adjoint à la culture de la ville d'Hyères, le maire étant Léopold Ritondale.

Le livre est composé de fragments de trois sortes, anecdotes et réalisations culturelles de cette période, réflexions philosophiques sur la nature du pouvoir politique en général, considérations sur les rapports entre politique et culture. On sort de cette lecture convaincu que quand ça marche entre politique et culture, c'est un fait rare, dû à une rencontre, des opportunités, une chance. Convaincu aussi que le pouvoir des maires est le plus souvent exorbitant, que rares sont ceux qui ont la sagesse et le recul pour ne pas se laisser manger par le clientélisme, le populisme, l'électoralisme.

Un petit livre, utile à tout le monde, gens de culture, artistes, gens de pouvoir, gogos.

JCG, éditeur des Cahiers de l'Égaré

Jouer avec le temps / François Carrassan
Jouer avec le temps / François Carrassan

Diderot à Lille et à Paris

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chers amis diderotiens,

le 7 décembre dans la magnifique cave voûtée sous la librairie Dialogues Théâtre, rue de la Clef à Lille, la lecture initiée par la filiale Nord-Pas-de-Calais des EAT (Écrivains associés du Théâtre) à partir du livre Diderot pour tout savoir fut chaleureuse, drôle, avec de bons lecteurs comédiens: Saverio Maligno, Laurent Benoit, Janine Pillot, René Pillot, et un violoncelliste de talent Timothée Couteau
Françoise Thyrion, annoncée, n'a pu venir mais son abécédaire a été lu ainsi qu'un passage de son adaptation théâtrale de l'Entretien d’un philosophe avec la maréchale de ***, de Diderot ce qui permit une mise en valeur du Nouvel entretien très indiscret d'un philosophe avec la Maréchale de *** de Caroline de Kergariou
quelques perles de Grégoire Aubert nous ont aidé à respirer
on a entendu aussi le texte de Moni Grego et celui de René Pillot
1 livre a été vendu pour une vingtaine d'auditeurs dont deux jeunes venus d'Arras par une annonce sur internet, un spécialiste de Diderot, auteur d'un article sur le Chevalier aux mille articles
le pot de l'amitié avec pour moi du vin blanc de Savoie m'a égayé et j'ai tonitrué dans les rues du centre de Lille, noires de monde, avec Rosalie, allant de manège en manège, moi de vin chaud en vin chaud avant un repas Aux Moules, incontournable;
j'ai quand même fait un tour aux 8° escales hivernales à la CCI de Lille, où peu de monde déambulait, où on a acheté un livre illustré pour la demoiselle Les princesses casse-pieds (mort du livre ?)
un article est paru dans La Voix du Nord


le 9 décembre, à la Maison des auteurs de la SACD, à Paris, fut une soirée dédiée, sans esprit de récupération, à Nelson Mandela et Dulcie September (sur intervention de Moni Grego, belle pensée), représentante de l'ANC en France, assassinée le 29 mars 1988, 28 rue des Petites Écuries dans le X°
une salle pleine,
une mise en espace préparée par Moni Grego, chacun y allant de son écot, Marc Israël-Le Pelletier pour le diaporama Suite de Diderot sur une musique de Pergolèse, un néon bleu et une musique de salut choisis par Moni qui a apporté aussi porto et whisky, moi, 3 roses rouges et les autres leur talent: Jean-Michel Baudoin, Henri Gruvman, Docteur Duchmoll servi par Benoît Rivillon et son bonnet rouge, Caroline de Kergariou, René Escudié, René Pillot, Yves Ferry, Noëlle Leiris, Moni Grego
Dominique Paquet a présenté la soirée et l'invité Jean-Michel Besnier, professeur à La Sorbonne
j'ai été bref
j'ai passé la parole à Madame la déloyale de la soirée qui a demandé la suspension des insupportables et des applaudissements, réservés pour la fin
l'agencement a été satisfaisant, le hasard étant intervenu qui nous a fait déplacer le texte de Moni, devenu texte de fin s'achevant sur la mort de Denis Diderot, étouffé par un noyau de cerise ou d'abricot; faudra un jour savoir
j'ai connu une grande frayeur quand j'ai cru mon heure venue de dire en bonnet rouge les 26 tweets du docteur Duchmoll; heureusement Benoît Rivillon est arrivé à temps
j'ai savouré l'irruption intempestive et brève d'une marseillaise, effet d'une régie capricieuse sans doute, sur le texte avec Christine B. (avec son Origine du Monde) de l'ami René Escudié
j'ai apprécié les retours de Jean-Michel Besnier (le philosophe de la Sorbonne invité par Dominique Paquet) qui a fait avec perspicacité le lien entre les textes et Diderot: son naturalisme, son non-volontarisme, son érotisme modéré, la saveur du monde, le continuum nature-culture et non leur opposition, le continuum concomitant matière-sensibilité ...
j'ai eu un beau moment d'émotion en retrouvant Anna Prucnal et Jean Mailland, accueillis aux Comoni au Revest vers 2000 et aussi en voyant plus succinctement Houdard-Heuclin, eux-mêmes accueillis en ce même lieu
j'ai annoncé l'initiative de Marc Israël Le Pelletier, la semaine du 18 au 25 octobre 2015 (le 25 octobre 2015, j'aurai alors peut-être 75 ans): l'exposition de la Suite Diderot dans la salle d'exposition du Bateau Lavoir avec soirée de mise en valeur des 4 projets pluriels des EAT MED avec tous les EAT (Envies de Méditerranée, Marilyn après tout, Diderot pour tout savoir, Cervantes-Shakespeare, hasardantes coïncidences)
dommage que Françoise Thyrion n'ait pu être des nôtres puisqu'il était prévu une alternance de voix sur tweets et abécédaire; je suis sûr que ça aurait très bien fonctionné
le pot de l'amitié fut animé
21 livres ont été vendus
Baptiste Moussette qui était à la caisse sera sans doute le prochain directeur des Cahiers de l'Égaré car il faut bien passer le relais
en tout cas, je me dis que ce serait bien qu'une autre soirée soit organisée avec les auteurs parisiens et franciliens que je n'avais pas choisis pour le 9 décembre et ils sont nombreux;
proposition est donc faite au bureau des EAT

amitiés vives de JCG qui sait que vous êtes par là, perdus dans les immensités livrées au hasard et dans des activités frénétiques dont il ne restera rien mais c'est notre chance

retour de René Escudié sur cette soirée :

Bonjour à toutes et tous,

Quelques réflexions après la soirée de lundi et les compte-rendus et un doux voyage où la voiture semblait descendre seule vers la Méditerranée (non, je ne bois pas quand je conduis) :

- Soirée excellente par la qualité, la diversité des textes et le talent des lectrices et lecteurs.

- Soirée passionnante par les interventions du philosophe. Interventions discutées mais où serait la philosophie sans la discussion ?

- Soirée très émouvante pour moi : lire en compagnie de mes vieux amis Ferry et Pillot est un plaisir rare ; lire en imaginant Moni dans le corps de Christine B. elle-même dans le corps de l'Origine du monde de Courbet est un délice de vieux pervers en mon genre (merci Moni de ta voix et de ta belle proposition d'associer Dulcie September à notre hommage) ; lire devant mes amis Elie Presssmann et Alain Bellet et être congratulé et embrassé par Anna Prucnal que j'admire tant depuis une rencontre lors du Festival d'Avignon 1974 et d'un repas fort arrosé en compagnie d'Alvin Ailey m'a fait monter les larmes aux yeux.

- La Marseillaise incongrue ne m'a pas déstabilisé mais ce n'est que sur la route du retour que j'ai trouvé comment j'aurais pu improviser.

- La photo n'est pas bonne, hélas ! Je ne suis pas dans le cadre...

- Un grand merci à toutes et tous et spécialement à toi, Jean-Claude.

Bonne journée.

René Escudié

retour de Moni Grego

Moi je l'ai trouvé très humain, brillant, chaleureux.
le philosophe, sachant tirer de chaque texte des
ouvertures riches, vivantes...

Au total c'était très disparate, mais cela témoignait bien
de où nous en sommes...

Chacun a apporté le plus de beauté et de pertinence
qu'il a pu, la couleur était annoncée. C'est tout de même
ce qui caractérise notre association, qui n'est pas basée
sur des critères de qualité artistique mais sur des critères
de professionnalisme et de combativité (si j'ai bien tout
compris...) ce qui entraîne forcément des hauts et des bas...

Merci à Jean-Claude qui privilégie toujours le dialogue,
et parvient à fédérer quoi qu'il arrive.

Quand aux débats leur nature nous échappe forcément
quelque précaution qu'on aurait pu prendre.

Les retours que j'ai eus ici et là étaient plutôt très
satisfaisants.
Amitié à toutes et tous.
Moni.

et deux articles sur le livre :

sur le blog de Jacques-Émile Miriel
Pour le tricentenaire de sa naissance (5 octobre 1713), on ne s'est pas pressé pour parler de Diderot. Bien sûr, quelques colloques ont été organisés, mais à l'abri du public, réservés aux universitaires. Quelques livres aussi sont parus, mais rares et de diffusion restreinte. Comme si la lumière que nous diffusait ce grand esprit des Lumières n'était plus faite pour nous. Il se trouve en réalité que Diderot est l'un de nos classiques les plus stimulants, celui dont la lecture ne cesse de nous apporter du neuf. Diderot nous inspire, nous motive, nous communique sa joie de vivre et de penser. Ainsi, je voudrais attirer votre attention sur un ouvrage collectif tout à fait original, Diderot, pour tout savoir, sorti pour l'occasion aux éditions Les Cahiers de l'Egaré. Une trentaine d'écrivains, auteurs de fiction ou de théâtre, essayistes, artistes divers, ont été réunis pour lui rendre hommage à travers de courts textes, dans lesquels ils laissent libre cours à leur imagination la plus débridée. Le résultat est très divertissant, très vivant surtout. Comme par un réflexe naturel, sans nulle peur des anachronismes, les auteurs transposent à l'époque moderne les personnages ou situations des romans et dialogues de Diderot. Lui-même apparaît parfois, et ne se prive pas de prendre la parole. Cela va de soi. On aurait presque envie, après cette lecture, d'aller refaire un tour au Palais-Royal, histoire de se répéter à soi-même, comme pour se venger du temps perdu : "Mes pensées, ce sont mes catins !"

Diderot, pour tout savoir aux éditions :

Les Cahiers de l'Égaré (http://cahiersegare.over-blog.com).

et ici

http://lecturescritiques.fr/diderot-pour-tout-savoir/

C’est d’un livre assez singulier dont je vous parle aujourd’hui, un livre qui vient de sortir et qui est édité par la maison d’édition, Les Cahiers de l’Égaré. Je dis « livre », mais c’est en fait un véritable projet que vous avez là. Un projet collectif, littéraire et philosophique, qui met en réflexion et qui met en jeu, la figure emblématique de ce philosophe des lumières, Diderot, pour le tricentenaire de sa naissance, (il est né à Langres, le 5 octobre 1713).

Comme une grande partie des ouvrages publiés par les Cahiers de l’Égaré, Diderot, pour tout savoir n’échappe pas à la règle. Il exprime des écritures, certes ici variées, car l’œuvre est collective, mais qui se canalisent et se focalisent toujours en vue de lectures qui soient dynamiques, et de (re)prises vivantes et vives qui soient matière à la création d’autres choses. Autrement dit, il ne s’agit pas simplement d’écrire et de lire, mais encore faut-il que l’écriture se porte en véritable enjeu à venir nourrir tout un travail de création.

Bien entendu, vous pouvez tout naturellement lire religieusement votre exemplaire de Diderot, pour tout savoir. Vous y trouverez plaisir, humour et intérêt, que je vous conseille d’ailleurs d’accompagner d’un bon verre de vin rouge et de quelques cigarettes, si tout du moins, vous fumez. Mais ce que je cherche à signifier, c’est cette dynamique vivante de la lecture, de la reprise, de la transformation, qui se retrouve en ce livre et très souvent au sein de la maison d’édition, les Cahiers de l’Égaré. Il faut que l’écriture appelle une appréhension vivante, et cette remarque apparaît totalement logique et normal, quand on pense au fait que les Cahiers de l’Égaré sont spécialisés en théâtre, et que bon nombre des auteurs du livre font partie des Écrivains associés du théâtre (EAT).

Énonciation éditoriale du projet Diderot, pour tout savoir

« Trente-six écrivains, penseurs, artistes, se confrontent à la diversité et modernité des écritures de Diderot avec des textes de 1000 mots maxi soit 34000 mots pour les 300 ans de cet homme des Lumières, dont on se demandera en quoi il éclaire ou peut éclairer notre monde, notre temps, nos mœurs, nos aigreurs, nos peurs, nos récentes percées scientifiques, nos vieilles spéculations métaphysiques. Comme lui ou contre lui ou toute autre attitude, posture en rapport avec lui, ils s’essaient à des voies nouvelles. Ils font commentaire, diversion, digression, mettent en abyme, réfutent, confrontent, se démarquent, se mettent en jeu. »

Cette énonciation éditoriale, très claire, est autant la présentation du livre au lecteur que la mise en place de la règle du jeu à destination des écrivains. J’emploie le terme de « jeu », mais ne voyez pas là une référence à l’Ouvroir de Littérature Potentielle (OuLiPo), car Diderot, pour tout savoir n’est tout simplement pas un ouvrage oulipien, bien que certains écrits peuvent s’en approcher, comme celui très amusant et absurde du Docteur Valentin G.Duchmoll qui résume l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert en 26 tweets alphabétiques pour les jeunes et les malentendants.

Fondamentalement non, Diderot, pour tout savoir, n’est pas un ouvrage oulipien. C’est un ensemble de trente-six textes (176 pages en totalité) qui dessine un visage contemporain à notre illustre penseur, tout en y interrogeant concrètement, sous des tonalités variées, sa philosophie.

Par moment autobiographique, comme le dialogue de Michel Azama délicieusement intitulé, « Denis, Grand fou », qui met à nu la vie de notre intellectuel :

« Il a appris comme vous à parler latin, ce qui, sans vous vexer madame, est une étude qui remplit d’aise, à peu de frais, bien des sots, et aussi le grec tout comme vous, madame, et le jeu de quille tout comme moi. Il a aimé l’apparence d’égalité que donne le collège où le futur artisan tutoie, pour un temps, le futur archevêque – et cela lui donna quelques idées, à vrai dire peu orthodoxe, sur notre contrat social et fit fumer ses méninges […] »

Par moment véritablement philosophique, comme l’écrit de Francois Carrassan qui s’empare de la question des droits de l’homme au temps de Diderot, pour en montrer les limites aujourd’hui :

« Les droits de l’homme n’avaient pas encore été déclarés. Leur notion naissante restait imprécise. On la trouve chez Diderot notamment dans l’Histoire des deux Indes, au chapitre 1 cité plus haut et au chapitre 4 – Sur les nations sauvages – où il écrit que, face à l’oppresseur, « l’homme qui revendiquerait les droits de l’homme, périrait dans l’abandon ou dans l’infamie ».

Par moment poétisé et politisé, comme l’écrit de Gérard Lépinois intitulé, « Sentir- Penser » qui réveille un regard à Diderot pour le faire parler dans l’observation de nos déambulations et de nos flux contemporains :

« Flots de voitures, de gens, de boutiques de fanfreluches se côtoient, se traversent dans l’ignorance les uns des autres. Effets de surface et surtout de transparence, mais flou, bruits, rumeurs et non conversations. Extrême solitude dans la masse, joie aigre ou bête, retour à une espèce d’animalité fiduciaire du troisième type, appareillage divers, notamment pour photographier ce vide ».

Et puis, Diderot, pour tout savoir, se revendique aussi de l’humour potache et malicieux, notamment avec cet écrit magnifique de René Escudié, qui invente la rencontre entre Diderot et Madame Christine B. (Christine Boutin). Rencontre totalement surréaliste puisque Madame Christine B. se réveille de son évanouissement pour se voir, à sa grande surprise, repeinte en « Origine du monde » (tableau de Gustave Courbet) :

Nous, Lecteurs, il faut bien l’avouer, nous n’avons pas l’habitude de retrouver en un même livre, des écrits tant diversifiés. Nous n’en n’avons pas l’habitude tout simplement parce que dans nos sociétés contemporaines, il existe un règne, celui du roman et de son auteur. Il existe donc peu de place de nos jours pour des œuvres différentes. Et il peut parfois apparaître difficile, pour nous Lecteurs, d’oser la lecture d’un ouvrage tel que ce Diderot, pour tout savoir.

Alors mon propos ici est de nous dire : « Osons ! » Oui osons la lecture de ce livre. Pour lui-même, puisqu’il s’agit d’un bon livre, et qu’il arrive aisément à produire une cohérence d’ensemble au-delà de la diversité des écrits. Mais aussi pour nous, en le prenant comme l’opportunité de lire quelque chose que nous croisons peu souvent, quelque chose de différent.

Baptiste Moussette

Diderot, pour tout savoir

ISBN : 978-2-35502-042-1

176 pages / 18 euros

Site de l’éditeur : http://cahiersegare.over-blog.com/

Dulcie September à laquelle fut dédiée la soirée Diderot du 9 décembre 2013 à la maison des auteurs de la SACD plus photo du salut final, couverture du livre etflyer du 7 décembre à Lille
Dulcie September à laquelle fut dédiée la soirée Diderot du 9 décembre 2013 à la maison des auteurs de la SACD plus photo du salut final, couverture du livre etflyer du 7 décembre à Lille
Dulcie September à laquelle fut dédiée la soirée Diderot du 9 décembre 2013 à la maison des auteurs de la SACD plus photo du salut final, couverture du livre etflyer du 7 décembre à Lille
Dulcie September à laquelle fut dédiée la soirée Diderot du 9 décembre 2013 à la maison des auteurs de la SACD plus photo du salut final, couverture du livre etflyer du 7 décembre à Lille

Dulcie September à laquelle fut dédiée la soirée Diderot du 9 décembre 2013 à la maison des auteurs de la SACD plus photo du salut final, couverture du livre etflyer du 7 décembre à Lille

La Prose du Transsibérien a 100 ans

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pour finir 2013, ce poème qui a 100 ans

La Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France

de Blaise (pour dire les braises de la création poétique)

Cendrars (pour dire les cendres après l'éclat-l'écart)

par Vicky Messica (1980)


et un lien qui permet de voir le poème simultané réalisé avec Sonia Delaunay

je vous souhaite une bonne fin 2013 dont je puis dire pour moi et pour Les Cahiers de l'Égaré : bonne année
pour 2014, attendons qu'elle soit là puis attendons le 29 décembre 2014 pour dire ou pas : bonne année
je trouve ça tellement plus excitant, l'attente et le présent, que parier sur ce qui n'est pas encore présent, ici et maintenant

amitiés vives de JCG qui sait que vous êtes par là, perdus dans les immensités livrées au hasard et dans des activités frénétiques dont il ne restera rien mais c'est notre chance

en 2009-2011, l'auteur et metteur en scène Philippe Rousseau a mis ses pas dans le vent dans un voyage en transsibérien: Mes pas captent le vent (vidéo)

Entre récit et carnet de voyage, Mes pas captent le vent présente le périple initiatique d’un homme en Russie. De Moscou au lac Baïkal, la découverte du monde conduit le personnage à la re-connaissance de lui-même.
L’invitation au voyage mêle la densité du récit et la vivacité du carnet pour devenir poème scénique.

Le personnage de Mes pas... se définit comme un être en mouvement. En avion, en train, en bus, dans le métro ou à pied, il est toujours en marche et il avance. Aucune indication explicite ne renseigne sur la finalité du voyage, ni objectif ni élément à propos d’une quête, et la fin ouverte laisse penser que le protagoniste part vers une nouvelle étape.

Mes pas… se lit comme un métadrame, un « drame sur un autre drame » ou « drame au second degré ». La marche prend la forme d’un acte de survie, avec ses doutes, ses hésitations et sa tentation de la mort. La citation de Blaise Cendrars « la vie que j’ai mené m’a empêché de me suicider », mise au présent dans le texte prend valeur d’adage pour le personnage. Pourtant, à l’inverse des héros de Maeterlinck ou de Beckett, condamnés à survivre en attendant la mort, contraints à l’impuissance tragique, il reste un espoir pour le protagoniste qui choisit la vie à la fin de cette séquence. L’impuissance tragique est supplantée par la pulsion de vie.

Conséquence de cet état, le personnage n’existe qu’au présent, dans les rencontres et les expériences qu’il vit. Sans analogie ni opposition avec son pays d’origine, il reçoit le monde extérieur sans jugement de valeur. Les phrases concises, réduites à un sujet et à un verbe d’action permettent de dire l’essentiel sans l’expliciter. Il se met au rythme du pays.

Être en voyage c’est être de passage, dans un pays, une région, dans la vie de l’autre, dans le présent du spectateur. Le mouvement de l’œuvre prend la forme d’une traversée qui bouscule la manière du personnage d’être au monde et interroge le regard du spectateur.

en août 2010, j'organisais un bocal agité au Baïkal (vidéo) pour les 10 ans du séjour de Cyril Grosse (1971-2001) (vidéo) qui y créa

C'est possible, ça va ou l'un de nous est en trop

(C'est possible) ça va
ou l'un de nous est en trop
est le dernier spectacle de Cyril Grosse (1971-2001)
créé en octobre 2000
au Molodiojny Theatr'
à Oulan-Oudé en Sibérie,
après répétitions au lac Baïkal, à Baklany,
puis présenté au Centre Vissotski à Moscou,
au Théâtre de La Passerelle à Gap,
à La Maison des Comoni au Revest,
à Gare au Théâtre à Vitry.
Réalisation franco-russe avec 12 comédiens,
2 compagnies:
L'Insolite Traversée
Le Molodiojny Theatr',
2 langues: russe et français,
ce spectacle a été filmé par un vidéaste russe, Vladimir Kostine.
Ce n'est que 6 ans après en 2006, que Les 4 Saisons du Revest,
co-producteurs du spectacle,
ont pu retrouver le film,
tourné à La Maison des Comoni,
le 25 octobre 2000,
pour mes 60 ans.
Merci à Ivan.

Un livre Baïkal's Bocal a été édité

18' fabuleuses de c'est possible ça va de Cyril Grosse (créé en 2000) où musique, danses, traditions occupent l'espace et le temps

La Prose du Transsibérien a 100 ans
La Prose du Transsibérien a 100 ans

L'été de la vie / J.M. Coetzee

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L'été de la vie

John Maxwell Coetzee

Points Seuil

Déambulant en feu l'an 2013 dans la bibliothèque Vaclav Havel, nouvellement inaugurée dans le 18° arrondissement de Paris, installée dans une halle de la gare Pajol remarquablement réaménagée, esplanade Nathalie Sarraute où se trouvent aussi une fort accueillante auberge de jeunesse, un restaurant Les petites gouttes que j'ai pratiqué, je suis tombé sur L'été de la vie et d'autres livres de Coetzee. L'été de la vie m'a intrigué par la 4° de couverture : « le célèbre écrivain J.M. Coetzee est mort. En recueillant le témoignage de proches, un jeune universitaire établit sa biographie posthume...»

J'ai trouvé le thème gonflé et j'ai donc lu cette biographie posthume. J'avais déjà lu Disgrâce, Le Maître de Pétersbourg. Autres auteurs sud-africains lus : André Brink, Breyten Breytenbach, Nelson Mandela.

Hypothèse de départ: le prix Nobel 2003 est décédé après avoir laissé derrière lui divers fragments qu’il projetait d’utiliser dans le cadre de Mémoires consacrés aux années 1970. Le livre commence et s’achève avec ces bribes posthumes, qui encadrent cinq entretiens menés par un jeune universitaire, M. Vincent, désireux de brosser un portrait de Coetzee à cette époque. S’expriment tour à tour une ancienne amante Julia, une cousine affectueuse Margot, la mère d’une élève à laquelle il enseignait l’anglais qui le repoussa sans aménité Adriana, un collègue et universitaire de ses amis Martin, une collègue française avec qui il entretint brièvement une liaison Sophie. L'ensemble m'a donné l'impression d'un écrivain maîtrisant les techniques d'écriture qu'on enseigne aujourd'hui sous la houlette d 'écrivains comme Paul Auster avec lequel il a échangé (paru fin 2013), Alessandro Baricco. C'est brillant. Les carnets sont sous forme de fragments inachevés, une note précisant ce qui est à développer ou posant une question, ce qui fait du fragment une entité vivante, qu'on peut poursuivre (par exemple le fragment sur l'éducation page 296). Les entretiens sont de nature différente. Entretiens avec Julia, Adriana, Martin, Sophie. Les deux premiers tentent de cerner l'homme Coetzee dans ses rapports aux femmes. Le portrait qui s'en dégage n'est pas flatteur surtout vu par Adriana, une danseuse brésilienne qui voit cet homme comme une mécanique en bois, ne sachant pas bouger, empêtré dans un idéalisme, une sublimation de la femme qui l'en l'éloigne. Ça m'a fait penser au film The Ugly Truth. Avec Margot, l'entretien est différent puisque Vincent vient lui lire le récit qu'il a rédigé à partir des entretiens qu'il a eu avec elle et cela entraîne des réactions parfois vives de Margot ne se reconnaissant pas dans le récit. Les deux derniers entretiens évoquent l'enseignant à l'université du Cap. Plus courts que les autres, ce sont ceux que j'ai préféré parce qu'il y est question de politique, de l'Afrique du Sud et de l'apartheid dans les années 70, de l'engagement ou non. « Aux yeux de Coetzee, nous ne renoncerons jamais à la politique parce qu'elle est trop commode comme théâtre où nous pouvons mettre en scène nos émotions les plus viles : la haine et la rancoeur, le dépit et la jalousie, les instincts sanguinaires. En d'autres termes, la politique est un symptôme de notre condition déchue et elle exprime notre déchéance. » On ne peut plus fortement exprimer le pessimisme radical de l'outsider, le mal intégré Coetzee, résistant à sa façon.

En conclusion, L'été de la vie me semble une réflexion et un travail sur le genre et le geste biographique et autobiographique, une interrogation sur la part de fiction au sein de chaque existence, dès lors qu’on la raconte, même en se fondant sur un pacte de vérité. À la fin du livre, nous avons de Coetzee une image plutôt floue et l'on se dit que lire l'auteur (il y a de beaux moments de jubilation tant la langue, sans lyrisme, au scalpel, va droit au but) est plus gratifiant que découvrir l'homme d'autant que sur son travail d'écrivain, sur les rapports homme-oeuvre, vie-oeuvre, Coetzee reste discret. J'ai toutefois remarqué pour le récit de Margot l'abondance des mots afrikaans ce qui renvoie à la discussion sur dialecte et langue vers la fin du livre (page 275).

Jean-Claude Grosse

L'été de la vie / J.M. Coetzee
L'été de la vie / J.M. Coetzee

Mon expérience face of Book

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Mon expérience face of Book

(figure du Livre)

Résidant à Paris et n'ayant aucune obligation d'écriture n'étant aidé par aucune aide publique ou privée, disposant comme je l'entends de mon temps, m'accordant le droit à la paresse, je décide un matin de m'investir sur face of book pour une quinzaine. Au moment où je m'attelle à l'élargissement de mon réseau d'amis, j'en ai 28. Dix jours après, 148. Je n'ai demandé à faire ami-ami qu'à des gens que j'ai connus, perdu de vue. Je suis content. Quelle diversité d'intérêts, d'expériences. Chaque page est avec ses creux, une vie, des romans ou des poèmes à écrire. Mais assez vite, je déchante. Je reçois des notifications à tout va, tout ce que chacun propose s'affiche dans le fil d'actualité, j'apprends qui devient ami avec qui. Je fais usage des paramètres pour arrêter quand je veux ce flux, le relancer quand je veux. Beaucoup d'amis font les frais de ma censure. Ras le bol dès quelques jours de tous ces messages sur les Turcs, les Grecs, les Brésiliens, les Syriens, les Roms, les fachos, les Lejaby, les Amina, les Femen. Messages qui ne sont que des liens, reprises d'articles de presse. Parfois une présentation personnelle, le plus souvent rien. Absence criante de pensée. Une exception sur une photo d'un homme immobile place Taksim.

Les manifestants turcs ont trouvé une nouvelle forme de contestation, l'homme à l'arrêt...

Un homme se tient debout sur la place Taksim d'Istanbul. Muet, le regard fixe, il n'a pas bougé depuis des heures.
Son action pacifique, sur une place interdite au rassemblement par les autorités turques, intrigue et fascine les centaines de personnes qui l'observent, lui, et la police. Il est arrivé lundi soir à la nuit tombée et s'est planté au milieu de la place, à quelques dizaines de mètres du parc Gezi. Le parc, berceau de la contestation du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, est solidement gardé par des dizaines de policiers. Cinq heures plus tard, l'homme est toujours là, les mains dans les poches, un sac et des bouteilles d'eau à ses pieds. Il fixe l'immense portrait du fondateur de la Turquie moderne, Mustafa Kemal Atatürk.
Des centaines de personnes ont afflué. L'auteur de cette action inédite à Istanbul, qui vise à contourner l'interdiction de manifester tout en occupant la place Taksim après le coup dur porté par l'évacuation du parc Gezi, s'appelle Erdem Gunduz. Ce chorégraphe stambouliote est aidé par ses amis qui empêchent les centaines de personnes présentes de s'approcher de lu
i et le ravitaillent en eau.

Le moment de la pensée : Pour une contemplation subversive

Le contemplateur contemple, le corps immobilisé dans l’agitation sociale, sous le regard de ceux qui ne contemplent pas et continuent de s’agiter. Il ne fait aucun profit. C’est un être rendu au monde, à une matérialité retrouvée, parfois brutalement et jusqu’à la mélancolie.
La contemplation en appelle à la volonté de l’être à trouver sa place dans le monde. Empêcher, ou modifier la contemplation du citoyen est un premier stade mis en œuvre par l’État démocratique. Le second stade est d’empêcher la réflexion : et c’est l’État totalitaire. Dans les deux cas l’État - démocratique comme totalitaire - y trou
ve son compte. Christophe Pellet.

Et mon commentaire : enfin de la pensée sur ce mur trop politique comme s'il suffisait de manifester, faire grève, pétitionner, récupérer des morts et des martyrs, dire à bas; toute ma vie, j'ai dit À bas ! Halte ! Stop ! Et rien n'a été abattu, rien ne s'est arrêté, les coups ont continué à pleuvoir ; ça m'a lentement dégradé, je me suis rongé les sangs, j'ai stressé, j'ai eu mal au dos, j'ai développé un cancer du foie guéri puis un de l'anus en voie de guérison depuis que je me suis dit je m'en fous ; j'en ai tellement assez au bout de quinze jours que je ne partage que des liens en lien avec les actions proposant de changer mode de production agricole et de consommation, vivre dans la sobriété heureuse, un peu aussi comme le sage de Lao-Tseu et donc je vais être dans le non-agir.

Ma courte expérience de face of book m'a montré aussi que si je pouvais agir sur les paramètres non pour censurer l'expression de chacun mais empêcher cette expression de m'atteindre, l'inverse était également vrai. Ainsi d'une femme qui met sur facebook une photo d'elle et de sa fille de 7-8 ans avec en commentaire Et la voilà qui passe le bac demain ...102 personnes aiment ça.

C'est dimanche soir. Demain c'est le bac et l'ouverture du procès de Mathieu Moulinas, le violeur de Salomé F. et l'assassin d'Agnès M. Je pense aux grands-parents que je connais, à leur deuil impossible, à leur révolte. J'écris donc sur le mur de cette femme, en lien avec une citation d'elle :

L'amour est-ce autre chose, que partager le désir et la peur, le plaisir et l'effroi, corps troublés, mots tremblants, croire ensemble à l'ogre qui va nous manger et à la fée qui va nous sauver ?

- bonheur et petite peur pour vous et pour elle demain à Paris ; malheur, douleur, deuil impossible, révolte pour eux, demain, là-bas, au Puy en Velay, parents, grands-parents, grand-frère d'Agnès, massacrée par Mathieu

La femme a supprimé mon commentaire, m'a rayé de sa liste d'amis.


Regardant les murs de mes nouveaux amis, réels et virtuels, j'y vois divers comportements, je me contente de deux catégories ; ceux que le monde agite, Héraklès inlassables, ceux qui se mettent en valeur, Narcisses en transe. Chaque mur, c'est 4% de matière lumineuse, le reste en énergie noire. 7 milliards de murs sur face of Book, 7 milliards de visages troués, de visages évidés composant le Livre, illisible par quiconque mais déchiffrable sans lecture ni lecteur : du vide sidéral.

Aujourd'hui 21 juin 2013, 5 H 04, jour du changement de saison, j'ai noté mes chiffres :

sur mon blog 328000 visiteurs pour 732000 pages vues

http://les4saisons.over-blog.com

sur le blog des agoras d'ailleurs 95500 visiteurs pour 192000 pages vues

http://agoradurevest.over-blog.com

sur celui des Cahiers de l'Égaré 118500 visiteurs pour 244000 pages vues

http://cahiersegare.over-blog.com

sur mon espace vidéos dailymotion 125500 visites pour 244 vidéos

dailymotion/jean-claude grosse

sur you tube 124000 visites pour 172 vidéos

you tube/jean-claude grosse

Impossible de connaître la fréquentation de ma page facebook qui présente un avantage par rapport aux mails : pas de spams.

Quant aux blogs, ils sont le lieu d'élaboration de ce que je veux partager. Ce que je constate c'est que j'ai un nombre réduit d'abonnés aux articles, une soixantaine pour les 3 blogs, que j'ai un certain nombre de commentaires, entre 200 et 250 pour un total de plus de 600 à 650 articles. Certains articles ou certaines pages sont en tête des visites chaque jour depuis des mois ou années (poèmes d'amour, Gabrielle Russier) et d'autres sont ignorés jusqu'à ce qu'un buzz les remette en lumière (passage à la télé d'un auteur, jour anniversaire d'un événement : sabordage de la flotte, Rosenberg). Les blogs sont pour moi la richesse, le réseau social peut seulement aider à diffuser cette richesse, pas suffisamment exploitée.

Jean-Claude Grosse

un article récent pose la question des fantômes de facebook, ces amis dont on ne reçoit plus les messages: j'ai effectivement observé cette tendance, indépendamment de ma décision de vouloir ou non que les messages s'affichent ou pas dans le fil d'actualité

Mon expérience face of Book

Pulvérisés et autres pièces/Alexandra Badea

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Pulvérisés et autres pièces / Alexandra Badea

L'Arche Éditeur

Pulvérisés m'a accroché. Évidemment, de moi-même, je n'irais pas vers ces écritures du réel. Je ne connais pas les conditions de travail des centaines de millions de gens dont je dépends. Je sais par quelques reportages, quelques lectures (dont certaines déjà anciennes mais qu'on oublie) qu'elles sont déshumanisantes, que ces gens sont les esclaves modernes, quelle que soit leur place dans la hiérarchie des multinationales, qui produisent et vendent ce que nous consommateurs (eux aussi le sont), nous utilisons dans notre vie quotidienne. Salariés et consommateurs, c'est la chaîne qui nous entrave.

Lisant quasiment en même temps Le cauchemar de Don Quichotte de Matthieu Amiech et Julien Mattern chez Climats (2004), je vois et éprouve fortement la connexion, l'intrication entre consommation et production.

Ayant voulu me connecter à internet, on m'a installé une box, j'ai choisi un opérateur, un forfait et je suis ainsi un des centaines de millions de responsables des conditions de travail et de vie des centaines de millions de gens produisant des box. (On lira La fabrique du diable de Hervé René Martin). Je suis responsable pour un certain pourcentage de ce qu'ils vivent. Tiens, on n'a pas encore quantifié ma responsabilité ni évalué ma culpabilité.

Je peux décliner en une longue énumération toutes mes responsabilités irresponsables, mes contradictions assumées, mes clivages (j'ai évoqué cela dans Pour une école du gai savoir, 2004). Je sens tout cela, en suis conscient plutôt plus que moins mais ne vois pas comment en sortir. J'ai beau limiter mes besoins, faire attention à consommer équitable, durable, évaluer mon empreinte carbone pour la réduire, cultiver mon jardin, acheter proximité, fuir les mégalopoles et leur pollution, ne plus voyager en avion, laisser ma bagnole au garage pour aller acheter mon pain à pied au village, je reste un prédateur, un destructeur de la planète, un exploiteur des esclaves modernes. Comment en est-on arrivé là, à ce que décrit Pulvérisés de manière clinique, avec les mots des novlangues de ces univers carcéraux. L'auteur utilise le « tu ». Comme si les réifiés (2 H, 2 F) dans 4 villes du monde (Lyon, Shanghai, Bucarest, Dakar) par une sorte de distanciation pronominale tentaient de se saisir, de se réunifier dans leur réification, leur pulvérisation, vision scopique, voir par le « tu » ce qui n'est pas possible, assumable par le « je ». Ce « tu » est non seulement le pronom qui fait parler les 4 « je », incapables semble-t-il de s'identifier, de s'assumer comme personne, il est aussi le « tu » de l'auteur, tentant l'impossible identification à l'autre, quelle que soit notre bonne volonté car l'autre est irréductible.

De toute évidence, l'auteur s'est bien documenté mais elle n'a pas cherché à faire du théâtre documentaire. Ce n'est pas un texte froid, seulement clinique à glacer les os, à paralyser le cerveau. Il y a de l'empathie dans cette description mais à mon avis limitée. Je veux dire que les effets des conditions de travail sur l'intime des réifiés, des pulvérisés sont vus de façon noire, pessimiste, parcellaire. Les rêves, désirs, espoirs, résistances, insoumissions peut-être sont trop réduits. Angedelanuit 05 est la soupape de l'homme de Lyon qui tout en déclarant son amour à sa femme se branle en matant les seins que lui montre la webcam. Le joli cul d'Adiouma Diandy ne laisse pas indifférent l'homme de Dakar. Mais je suis persuadé que ces mutilés peuvent nous réserver des surprises, en pire et en meilleur. La jeune fille de Shanghai est le témoin de la défenestration suicidaire de celui qu'elle aime dans sa tête. Et elle finit par l'oublier. Mini-histoire de tête et de coeur sans lendemain, mouvements émotionnels de faible amplitude et résonance. Le respect de la ligne jaune sensitive dans l'usine à Shanghai est la règle, la norme. Soit.

La lecture par exemple de L'abîme se repeuple de Jaime Semprun (1997) t'avait déjà alerté sur ces parcs industriels dans une île au large de Singapour, véritables bagnes où des jeunes filles de 20 ans fabriquent nos télécommandes et perdent la vue en 2-3 ans. Ou sur ces travailleuses de même pas 14 ans non payées jusqu'à l'âge de leur mariage, moment où on leur donne leur dot (mais beaucoup ne sont plus mariables parce que accidentées, mutilées et donc non payées).

Parce que tu cherches les informations sans t'y noyer, tu as eu connaissance de mouvements de grève en Chine, chez le sous-traitant d'Apple par exemple (tiens j'ai un Mac, Steve Jobs fut un génie et un tyran, vais-je renoncer à mon Mac pour un PC de Bill Gates ?)

Ce que je vis comme une liberté nouvelle, la possibilité d'accès instantané au monde grâce à internet et qui m'entraîne dans une spirale de consommation, l'ordi puis l'iphone puis l'ipad puis … je ne peux plus ne pas en voir les conséquences : toujours plus de domination, de violence, de souffrance, moins de démocratie, toujours plus de dégradation, d'abstraction. Paradoxe : l'autonomisation de l'économie qui contribue à me faciliter la vie se fait au détriment de mon autonomie, je suis de plus en plus dépendant ; je n'écris plus à la main. « Je me suis rendu compte, il y a très peu de temps, qu'écrire sur le clavier de mon ordinateur m'était néfaste. En effet, j'écris constamment en recherche d'équilibre main gauche main droite, le corps bien droit, bien face à l'écran. J'écris propre. L'émotion est chassée comme la saleté disparaît sous le détergent. Alors qu'écrire à la main, ma tête se penche, mon corps se tord parfois dans tous les sens, mes pieds se croisent, mes reins se creusent, ma main s'impatiente. Il m'arrive de sucer le crayon, le stylo... au clavier je ne suce rien, mes lèvres se crispent, mes yeux ne demandent qu'à être rassurés. Ecrire à la main, c'est un peu écrire au début des mots. Je vous dis tout ça, parce que... » Marc-Michel Georges.

La cannibalisation capitaliste ne passe pas comme une lettre à la poste ou un mail sur internet. Certes suicides, mutilations, accidents du travail sont légions, anonymes comme sont anonymes les luttes, les éruptions, les révoltes matées par l'appareil de répression patronal ou étatique. L'homme a prouvé sa capacité à vivre, survivre dans les conditions les plus inhumaines, les camps de la mort nazis.

Primo Lévi avec Si c'est un homme a décrit comme un scientifique de l'horreur les 3 types de comportement qui s'y pratiquaient. Germaine Tillon parle très bien du comportement le plus rare mais réel, la solidarité dans son Opéra à Ravensbrück.

Me reviennent en mémoire plein de livres et d'auteurs, de penseurs : Expérience de la vie d'usine et La condition ouvrière ou Réflexion sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale de Simone Weil (1937), Encyclopédie des nuisances animée par Jaime Semprun entre 1982 et 1992, et récemment Le salaire de la vie de Ghislaine Tormos (éditions don quichotte), André Gorz (Adieux au prolétariat), Jacques Ellul, Hannah Arendt (Condition de l'homme moderne), Herbert Marcuse (L'Homme unidimensionnel), Georges Orwell, Guy Debord (La société du spectacle)...

Les critiques du capitalisme industriel et technologique, de la bureaucratisation, de l'expertisation du monde, de la marchandisation, de la mondialisation, de la financiarisation ne sont pas d'aujourd'hui mais nous sommes amnésiques. On n'a pas pris garde aux mises en garde. Et nous voilà pulvérisés.

Chaque jour, nous prenons, chacun d'entre nous, des milliers de décisions et accomplissons des milliers de gestes en toute méconnaissance des effets dans un monde réseauté. On en a une petite idée, une certaine image avec ce qui se passe sur les marchés financiers avec les milliards d'ordres donnés en milli-secondes par des algorithmes. Il faudrait des ordinateurs hexaflopiques pour tenter ce que nous tentons avec les galaxies, trouver un peu d'ordre dans ce qui est désordre, contradictoire (salarié, je revendique ça et ça ; consommateur, çi et çi et ça fait boum quand ça se multiplie par 7 milliards). Le règne de la quantité, du nombre, du chiffre nous dévore. La science d'Aristote était qualitative, elle est devenue avec Galilée quantitative, mathématique, géométrique. Heidegger a bien vu le lien entre la métaphysique grecque et la technologie, l'arraisonnement du monde, la mise à la raison du monde. Ce qui nous dévore, menace est sans doute mortel. Mais quelles que soient les modalités, l'humanité est mortelle et elle ne veut pas le savoir.

Je crains fort qu'aucun écrivain ne puisse donner la mesure, dresser le tableau de ce gigantesque chaos (2H, 2F dans leur enfer ça ne me permet pas d'évaluer les 7 milliards en enfer). Même les quelques décideurs mondiaux n'ont aucune maîtrise. La barge mystérieuse de Google qui se déplace pour se mettre à l'abri des lois ne doit pas nous impressionner, elle ne sait pas où elle va si ce n'est dans l'abîme avec nous. (On devrait se demander quel messianisme explicite ou pas, les grandes boîtes comme Google, Apple, Amazon, Facebook, Microsoft véhiculent, l'analyser, le soumettre à la critique. C'est ce messianisme qui induit les comportements, le secret dans ces boîtes, idem d'ailleurs au FMI et dans nombre d'institutions; ça s'apparente à des comportements de sectes et de clans, persuadés d'avoir raison et refusant toute pollution mentale, idéologique extérieure).

Donc même si le cheminement vers l'abîme ne se fera pas sans réactions, il semble peu probable qu'un projet alternatif, un autre mode de vie puisse se substituer à ce qui s'est imposé à nous avec l'aide de nos illusions ou croyances, la croyance au Progrès qui nous facilite la vie.

En attendant le déluge (ce qui est un peu différent du 100 % irresponsable, de celui qui dit après moi le déluge), je choisis tout de même d'être un peu moins irresponsable, plus autonome, de préférer mes voisins et amis réels à mes amis virtuels, de me soucier de ce qui me paraît l'essentiel : comment vivre sous l'horizon de la mort ?

Soyons clair, j'introduis quelques légères variantes dans un mode de vie de plus en plus formaté impliquant contrôle, participation, domination, violence, démocratie très abâtardie, contestation toujours récupérée. Pour les dizaines de milliers participant au travail de la NSA, un Edward Snowden qui prend le risque de bouleverser sa vie, pour les dizaines de milliers travaillant pour le Pentagone, un Bradley Manning, aujourd'hui Chelsea Elizabeth Manning, qui a pris le risque de la prison.

Et si je peux introduire quelques variantes (la part du colibri de Pierre Rabhi) c'est que je suis classe moyenne moyenne, professeur de philosophie en retraite, que je vis dans ma maison dans un village du sud de la France en Europe (il me faudrait définir tous ces mots comme fait l'auteur pour certains car l'Europe, la France ne sont pas des évidences), que mes conditions de vie sont bonnes et que je peux ne pas avoir envie d'oublier, de me vider la tête avec des divertissements volontairement abêtissants, de me vider les couilles (à mon âge, il n'y a plus trop d'urgence, ça parle pas mal de baiser dans Pulvérisés, êtres humains réduits à des besoins élémentaires).

Pour conclure sur Pulvérisés, ma conscience aigüe de la question sociale (l'importance de réduire les inégalités avec par exemple l'adoption à l'échelle du monde du revenu universel de base mais cette mesure a à être discutée ; Le cauchemar de Don Quichotte montre très bien les effets doubles, contradictoires et pervers de pas mal de positions et propositions ; je pourrais très bien en faire la démonstration avec ce que réclament les gens de culture menacés par le MEDEF et l'État) et mes variantes petites-bourgeoises ne me donnent pas de prise plus grande pour changer cet état de pulvérisation du plus grand nombre. Peut-être que je contribue par mes comportements en partie responsables à ralentir d'une seconde la fin de l'espèce.

Et au risque de choquer, les choix consuméristes du plus grand nombre de consommateurs (vivre mieux, voyager, s'éclater …) ne m'intéressent pas. J'ai un peu plus de respect pour ce que veulent les producteurs, les salariés.

Je pense qu'il faut penser la vie en se sachant mortel, sans doute la plus grande des peurs, celle qui relativise toutes les autres, peur superficielle, peur cutanée, peur respiratoire, peur digestive, peur inflammatoire, peur rénale, peur sanguine, peur asthmatique, peur fiévreuse, peur infectieuse, peur contagieuse, peur hémorragique, peur hypertensive, peur hypotensive, peur cardiaque (la mienne), peur épileptique, peur hallucinatoire, peur schizoïde, peur chronique (séquence 1 de Mode d'emploi. Ou séquence 18 de Mode d'emploi : On a tous peur.)

Que philosopher c'est apprendre à mourir (Montaigne).

Les 3 autres pièces d'Alexandra Badea, rassemblées dans le même volume, présente un point commun avec Pulvérisés. Elles traitent d'un aspect de notre monde avec une précision documentaire frappante. C'est une écriture qui varie d'un texte à l'autre et qui présente aussi des répétitions de procédures, énumérations et circularité de séquences. Cela donne du rythme, de la force au propos.

Contrôle d'identité à travers 30 séquences évoque le cas d'Erol Karaca. Il y a une dramatisation puisque la séquence 29 est sans doute celle du suicide d'Erol avant l'annulation du jugement du tribunal rejetant sa demande de régularisation de séjour. On peut s'étonner du tour pris par certaines séquences, par exemple la séquence 15 où 9 verbes sont conjugués à toutes les personnes de l'indicatif, façon d'exprimer que ce qui vaut pour l'un vaut pour l'autre et pour tous, dans la diversité des situations singulières et plurielles, masculines ou féminines. La séquence 13 sur les murs de briques et les murs invisibles est très parlante. On a des séquences très réelles comme la 18, dialogue où celui qui veut aider se voit acculer par celui qui ne veut pas de n'importe quelle aide, une certaine façon de revendiquer sa dignité. Je ne peux pas te dire ma date de naissance sans savoir la tienne.

Mode d'emploi présente à travers 36 séquences différents modes d'emploi genre Bagages mode d'emploi, Le préservatif féminin mode d'emploi. C'est La vie Mode d'emploi, déclinée dans des situations très concrètes : Titre de séjour mode d'emploi, Le couple mode d'emploi … Ce kaléidoscope ou ce patchwork de modes d'emploi fait sentir combien nous sommes enserrés par les modes d'emploi, comme nous nous y adaptons sauf à avoir un jour, on ne sait pourquoi, l'envie de se mettre par terre.

Cette pièce met en avant pas mal de situations roumaines, pays d'origine de l'auteur. Il y a du vécu personnel revisité par l'écriture très incisive de l'auteur, les situations de contrôle où le fonctionnaire mâle abuse de son pouvoir : Déshabille-toi. Enlève tout. J'ai dit tout. Tout. Travailleur étranger mode d'emploi avec la liste des métiers, définition de métier, énumération des compétences. L'auteur, comédienne, metteur en scène, reconnue en Roumanie est venue s'installer en France. Pas simple. Pas de problème d'insertion mais des problèmes de repères. Par exemple la séquence 28 : La sécu paye. La sécu paye pour moi … La France paye. La France me paye. Avec cette fin dans une lettre à maman : Mon nom est sur beaucoup de papiers...et ça me rend heureuse. Mon nom existe. J'existe. Dans les papiers. Dans les papiers des autres. Efficace.

Burnout est une pièce à deux personnages, l'évaluateur et l'évaluée. Là aussi pièce bien documentée avec le langage des évaluations. L'évaluée et ses objectifs, travailler plus, ses objectifs sur post-it collés de partout, les verbes des objectifs mais surtout pas le verbe oublier, les primes, les définitions de performance, efficience, efficacité. L'évaluateur lui ne veut pas avoir honte de vouloir une vie plus facile pour sa famille. Il veut plein de bonnes choses, bonne voiture, bonne femme, bonnes vacances … horizon très borné sur des objectifs de conditions de vie ne garantissant nullement que c'est la vie, de la vie, de la vie vraie, avec du sens, des valeurs car ça, le sens, les valeurs c'est un autre travail que le boulot, la performance. Si tout finit par la mort, quel sens a la vie ? Peut-on lui en donner un et cela suppose quoi comme condition ou cause ou raison.

Allez je vends la mèche, si je ne pose pas que je suis un être libre, capacité à dire NON avant de dire de petits ou grands oui, alors pas de sens à donner, par exemple développer et partager le meilleur de soi-même, ce qui est différent de rechercher la fortune, le bonheur, le pouvoir, les femmes, la belle vie, toutes éthiques possibles et sur lesquelles je n'ai pas à me prononcer puisque choix de chacun mais je peux dire ça ce n'est pas mon choix. Encore faut-il que je me vivre libre pour choisir, sinon on choisit pour moi.

L'évaluateur est mis en face d'une de ses erreurs d'évaluation. Un évalué lui dit j'ai envie de m'évader de mon corps et lui le psy lui répond suicidez-vous, comme ça, ça ira mieux et deux jours plus tard l'évadé se pend. L'évaluée meurt par burnout, sous-nutrition, surmenage. L'évaluateur remet en cause sa fonction, ses objectifs : je ne veux pas une bonne vie, je ne veux pas une bonne mort. Ceci n'est pas un suicide causé par le burnout.

Libre, il a dit NON.

Est-ce cette liberté de dire NON qui partagée par le plus grand nombre suffirait à mettre à bas le système décrit et dénoncé en creux par Alexandra Badea, grand prix de littérature dramatique 2013 ?

Jean-Claude Grosse

Pulvérisés et autres pièces/Alexandra Badea

Brigitte Bardot, 80 ans

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J'ai vu avec plaisir mardi 23 septembre 2014, le magazine de Laurent Delahousse, presque un an après le documentaire présenté sur Arte en novembre 2013. Dois-je dire que la Brigitte Bardot d'aujourd'hui me semble très proche de la Juliette créée par Vadim dans Et Dieu créa la femme (sorti le 28 novembre 1956, bientôt 60 ans) que j'ai revu le même soir. Des répliques du film et des phrases de sa vie se correspondent. Par exemple cette réponse à une question après sa séparation avec le cinéma; Quoi après le cinéma ? La vie ! Je ne parle pas du comportement avec le lapin, l'oiseau, les animaux donc. L'entretien final à La Garrigue montre une femme vieillie mais ayant conservé une beauté étonnante. A-t-elle été maquillée pour la circonstance ? Je fais le pari que non.

Peut-être un jour, lancerai-je un projet d'écritures plurielles sur Brigitte Bardot comme je l'ai fait pour Marilyn Monroe. Des mots plus que des images, c'est le choix que je fais avec d'autres auteurs dans ces cas-là.

Bon anniversaire Brigitte. Bons 80 ans, sans doute dans la solitude de La Garrigue, ce 28 septembre 2014, solitude choisie, contemplative, méditative, remplie de mots, de livres qui ont fait du bruit et non d'images, pour une vie d'actions au service des victimes animales des hommes.

J'ai retrouvé dans mon fourre-tout deux cahiers datant de mon époque algérienne, septembre 1962-février 1964. B.B. y occupe une belle place. (Voir les 3 dernières photos du reportage en fin d'article.)

JCG

"Brigitte Bardot"

Diffusé le mar. 23-09-14 à 20:45 |

Magazine de société | 105'

Tous publics |

Présenté par : Laurent Delahousse

L'émission : Avec ses tenues minimalistes, sa nature insoumise et ses moues boudeuses, Brigitte Bardot, incarnation de la beauté absolue, a radicalement bouleversé l'image de la femme. Sa retraite artistique anticipée et volontaire, à seulement 38 ans, pour défendre les bébés phoques, y a également contribué. Mais aujourd'hui, l'icône est controversée et sa réputation écornée par des prises de positions qui divisent. Celle qui s'apprête à fêter ses 80 ans et qui a longtemps incarné la liberté vit désormais à l'abri des regards, loin du monde des paillettes qu'elle a contribué à créer. Portrait d'une femme qui n'a cessé d'entretenir avec son image un rapport d'amour et de haine.

L'EUPHORIE ET LA MÉLANCOLIE
Entretien avec David Teboul, l'auteur-réalisateur de Bardot, la méprise

Dans Bardot, la méprise, diffusé dans le Festival du documentaire d’ARTE, en novembre 2013, le cinéaste David Teboul revisite la légende BB quarante ans après son retrait du cinéma. Derrière la splendeur passée, le portrait amoureux et intime d’une actrice et d’une femme consumée par le désir.

Comment a débuté ce projet sur Brigitte Bardot ?
David Teboul : Gaumont me l’a proposé et j’ai accepté avec enthousiasme. J’avais envie de réaliser un film sur sa légende, au-delà du stéréotype auquel elle est associée, et de raconter la manière dont elle est entrée dans l’histoire du cinéma, en y mêlant la sienne. Je voulais qu’il prenne la forme d’un dialogue entre elle, personnage de fiction se livrant dans ses Mémoires – dits par Bulle Ogier –, et le cinéaste amoureux que j’étais. Car Bardot a occupé mon enfance et mon adolescence, et nourri mon imaginaire érotique. Puis j’ai grandi, aimé le cinéma, et, en découvrant Le mépris de Godard, j’ai à nouveau éprouvé un choc.

Qu’aviez-vous envie de montrer du personnage ?
Derrière l’euphorie, la profonde mélancolie qui traverse Bardot et qu’a su révéler Godard. Il a saisi quelque chose de très intime chez elle. Car en la débarrassant de tous les artifices, il l’a transfigurée. Je voulais aussi montrer sa part d’enfance, omniprésente, qui explique ses liens avec les animaux. Son désintérêt enfin pour le cinéma – cette manière de vouloir à tout prix contrarier son destin d’actrice – m’a beaucoup intéressé, comme le fait qu’elle soit passée à côté de la Nouvelle Vague, tout en l’inspirant. Aujourd’hui, Bardot est très loin du cinéma, et en même temps, elle vit totalement dans sa légende, entourée de photos d’elle et de reproductions de magazines, dans ce rapport d’amour-haine qu’elle n’a jamais cessé d’entretenir avec son image.

Comment s’est passé le contact avec elle ?
Après un premier rendez-vous manqué, j’ai été extrêmement bouleversé quand je l’ai rencontrée, une seule fois, à Saint-Tropez. Elle s’est alors beaucoup protégée et il a fallu la convaincre. Mais elle m’a dit quelque chose d’extraordinaire : « En ne voulant pas être dans votre film, je vous fais un cadeau. » J’ai compris qu’il fallait que je construise le récit sur cette absence. Elle m’a, en revanche, laissé libre accès à ses maisons de La Madrague et de La Garrigue, comme à toutes les archives de son père. Et dans ce décor qu’est son intérieur, j’ai eu le sentiment de replonger dans les années 1960, avec une sorte d’étrangeté. Le tout constituait la matière cinématographique d’un film sur un fantôme vivant, sur le présent d’un passé. La tension du film repose sur une incertitude : on a le sentiment qu’elle peut surgir à tout moment.

Les images tournées par son père recèlent des trésors...
Son père aimait le cinéma, et l’a filmée depuis ses premiers jours jusqu’à ses 15 ans. Après avoir cherché à se dérober, Brigitte se tourne vers la caméra vers l’âge de 7 ans pour en devenir prisonnière. On voit aussi comment la danse lui permet de fuir l’univers familial et de s’émanciper, même si le cinéma la rattrape à travers son désir pour Vadim. Et ce gourou, dont elle est amoureuse et qui la désinhibe, réalise Et Dieu créa la femme, un accident qui deviendra le phénomène que l’on sait.


Comment expliquez-vous son insolente liberté pour l’époque ?
Elle tient essentiellement à son rapport naturel au corps, qui n’existe alors chez aucune autre actrice de sa génération. Bardot est une conservatrice transgressive, d’où la puissance qui émane d’elle.


Propos recueillis par Sylvie Dauvillier pour ARTE Magazine

Le documentaire, présentation :

En 2011, Brigitte Bardot donne son accord pour un projet de documentaire biographique. Quand le réalisateur David Teboul la rencontre pour la première fois, sa réaction est sans appel : elle ne participera pas au film mais lui donne accès à ses archives familiales, une multitude de films réalisés par son père, des premières heures de son existence jusqu’à sa métamorphose en déesse des écrans. Elle l'autorise aussi à filmer librement les lieux de sa vie : les maisons de La Madrague et de La Garrigue à Saint-Tropez, ses refuges à elle. À partir de cette matière infime, précieuse, le cinéaste élabore un portrait intime de l’actrice en forme de déclaration d'amour. Il s'appuie aussi sur des passages d’Initiales B.B., l’autobiographie de l'actrice, dits par Bulle Ogier (très émouvante) et sur des extraits de films. De son enfance en milieu bourgeois – auprès d'une mère indifférente, d'un père autoritaire et d'une petite sœur qu'on lui préfère – jusqu’à son retrait du monde il y a trente ans, David Teboul réussit un portrait rare, émouvant, empathique. Il y donne à voir, pour la première fois peut-être, toutes les contradictions d'une femme passionnément amoureuse, mélancolique et sauvage, qui parvenait si mal à distinguer la vie du cinéma qu’elle faillit en mourir.

BB contre Brigitte

"J’ai 7 ans, mes parents m’offrent un album intitulé Brigitte Bardot, amie des animaux (…) C’est comme ça que je vous ai rencontrée. L’enfant que j’étais est tombé amoureux de vous." Avec une délicatesse extrême, David Teboul scrute les images familiales et les extraits de films, s'y arrête parfois pour détecter un indice, un geste, imaginer ce que ressent cette enfant qui, à 15 ans, sera projetée brutalement sous la lumière. "En 1950, je devins mascotte de Elle et le destin se mit à marcher contre ma volonté", écrira-t-elle. Roger Vadim, Trintignant, Samy Frey, Gainsbourg… : les passions amoureuses s'enchaînent, les déceptions succèdent aux extases, la mélancolie s'installe toujours. Celle qui "met tous les personnages dans sa peau" tente de se suicider après le tournage de La vérité, de Clouzot, en 1961. Jusqu'à se retrancher finalement avec ses animaux, comme réfugiée dans une nouvelle enfance, au creux d'une maison dont les murs, pourtant, sont recouverts des images de cette gloire qu'elle a tant voulu fuir.

Mon commentaire sur ce documentaire :

Documentaire intéressant par le double cadeau de BB au réalisateur, refuser de se montrer sauf à la fin, en pénombre avec ses chiens, ouvrir la Madrague, la Garrigue au cinéaste qui se montre respectueux de ce qui s'offre par plans fixes, travellings lents, horizontaux (séquence de la piscine aux embruns ou le golfe de Saint-Tropez vu à travers la fenêtre dans son état venté)

Le titre La méprise me semble renvoyer homonymiquement au Mépris de Godard mais je ne suis pas sûr que ce soit un bon titre, vu le documentaire. Ce n'est pas explicite. Est-ce elle qui s'est méprise et à quel sujet, le cinéma, les hommes ? Est-ce le public qui, partagé, s'est mépris sur sa vérité ? Se méprend-on quand on la traite d'extrême-droite suite à des déclarations pour lesquelles elle a été condamnée ? C'est peut-être tout cela à la fois et plus encore. Peut-être se méprend-elle sur elle-même, déclarant ne plus avoir d'intérêt pour sa période star mais sa maison étant tapissée de photos, bibelots du temps ?

Très secrète aujourd'hui tout en étant démonstrative, éruptive, elle est à la fois claire et obscure, animée par sa cause animale qu'elle défend avec sa Fondation de façon efficace, faisant donc de la politique à un niveau mondial au grand dam de pays comme le Canada, la Norvège, la Corée, la Chine ... Ce n'est pas donné à tout le monde une telle capacité. Je dis chapeau. Elle a réussi à transformer l'adulation pour la beauté naturelle de sa jeunesse en admiration et actions multiples d'innombrables anonymes pour l'amour des animaux, pour la cause animale, toute cette métamorphose à partir d'un sentiment, l'amour, qui déplace les montagnes dit-on et sans tenter de cacher son vieillissement par des liftings auxquels nous ont habitué les stars (Clooney s'est fait retendre les couilles, c'est devenu très mode là-bas), autrement dit l'adhésion des gens ne doit pas à une tromperie sur l'apparence. Encore chapeau.

Le dialogue improbable entre Brigitte Bardot via ses Mémoires, Initiales B.B. et le cinéaste via ses commentaires sur photos ou séquences de films dont ceux du père, amateur de cinéma sur le vif, est bien sûr lié à ce qui lie unilatéralement le cinéaste à l'actrice c'est-à-dire de l'amour sans doute complexe, une curiosité que la femme actuelle ne veut pas satisfaire et ce manque, cette absence mettent en branle le réalisateur pour notre plus grand bonheur car Brigitte Bardot n'est pas une femme comme les autres, parce qu'elle a su rompre au bon moment avec l'univers du cinéma en novembre 1973 et par son choix de la défense des animaux et de leurs droits dès le 6 novembre 1973, il y a quarante ans.

Commentaire de Victoria Luta sur Arte

Cher Monsieur David Teboul,

J'ai vu hier soir, motivée par un intérêt plutôt circonstancié, votre film-essai sur « BB ». Je l'ai trouvé exceptionnel. Je me presse donc à vous écrire avant que mon enthousiasme ne devienne tiède, essoufflé, lui aussi, par le temps qui passe.

J'ai dû comprendre qu'on a à peu près le même âge, que l'on appartient donc à une même génération « postmoderne » – pulvérisée,
désenchantée et orpheline de la berceuse des grands récits rassurants, comme dirait Lyotard –, mais que l'on aime, malgré tout, les prières de Kaddish. (Un premier paradoxe à prendre tel quel.) Alors, on blottit notre besoin de tendresse et de beauté dans des phénomènes appartenant à tout le monde et à personne. Comme le mythe de « BB ».

La première fois que j'ai lu les « Mythologies » de Roland Barthes, j'ai trouvées injustes et réductrices ses lignes sur « BB », mais je ne suis pas arrivée, toute seule, à étayer mon ressenti. (Étais-je trop jeune ?...)

Ce souvenir resurgit depuis hier soir et avec votre aide, cette sensation d’incongruité me devient brusquement plus claire : Barthes parlant de « BB » semble, plus que « BB », le prisonnier de son époque. Pire encore, Barthes écrivant sur « BB » dévoile un échantillon d'un amateurisme aujourd'hui pas plus qu'amusant. Son ancrage à la surface des signes lui refuse le moindre plongeon dubitatif dans les contradictions – que vous rendez si bien et si troublantes – de « BB ». Un deuxième paradoxe inattendu, que je saisis dans votre film comme on déballe un petit cadeau.

Vous l'avez compris, conditionnée par quelques attachements et reflex de lecture dont je ne peux me débarrasser, je vous ai cru et j'ai regardé votre film comme un « fragment d'un discours amoureux ». Votre récit de « BB » avance et s’émeut dans la tension d'une
absence que vous remplissez avec vos paroles, il guette la moindre goutte de « comédie sincère » dans cette biographie qui se dérobe de par son sur-exposition et vous faites ainsi le deuil d'un fantasme (« l'actrice qui ne naîtra pas »). Émouvantes avancée et quête de soi possibles uniquement dans la synergie d'une relation, et relevées par la confrontation à une altérité (un troisième paradoxe).

« J'ai peur pour vous », écrivez-vous, enfantin, à votre « Brigitte », en regardant son album de souvenirs dans lequel vous avez dû déménager pour un moment. Sa vie à elle, éclairée par vos regrets et par votre quête du sens, par des conditionnels et des possibles entrevus et pas concrétisés, par la gravité, la mélancolie et les indices de l'implacable que vous savez décrypter si bien, sa vie a enfin le droit d'être vue et lue comme un destin. Comme on lit un livre quand on connaît sa fin, en quelque sorte. Et la tendresse de votre regard lui confère plus que le bénéfice d'un portrait réussi ou d'un essai mémorable (l'un parmi d'autres) ; votre tendresse et votre idiome amoureux lui donnent enfin le droit à une cohérence de destin que ses contemporains – en commençant par Barthes – brillent par dénier. En ce qui me concerne, me voici touchée par le sens que votre essai produit, et que je ne peux que m'approprier.

Je dois l'avouer : c'est un exploit de romancier bien conduit, qui m'a séduite et que j'ai suivi avec passion.

Je vous en remercie. Portez-vous bien, Victoria Luta

Commentaire de tavu sur Arte

Dommage, un commentaire pénible, qui fait des phrases et des phrases un réalisateur qui passe sont temps à se masser le nombril. Moi, moi moi. Je, je, je. Il tente de créer une proximité avec BB qui demande un talent pour l'effleurer. Le ponpon, il se met en scène ! sans vergogne, avec sa voix elle aussi pénible. Il a un bol de tapioca dans la bouche, c'est pas possible. Dommage. Au secours ! Les images d'archive sont superbes, le commentaire de BB également.

Ma réponse à ce commentaire sur Arte

Je peux être en partie d'accord avec votre commentaire mais dans la mesure où Brigitte Bardot se refuse à être filmée aujourd'hui tout en ouvrant la porte de ses maisons, ne reste qu'un dialogue, une tentative de dialogue donc des phrases, celles de Initiales BB et celles du réalisateur s'essayant à un exercice d'empathie par le biais de photos et d'extraits de films

Effectivement, je trouve plus forts les propos de Brigitte que ceux du réalisateur; il ne me semble pas à la hauteur de l'amour qu'il lui porte ou plutôt ses mots ne sont pas à la hauteur car ses images par contre le sont, sauf sa mise en scène de dos ou dans le lit mais comme il nous a dit son rejet par la dame qui lui conseille de couper sa barbe, on rit presque de cette infatuosité ; quelle claque ! Je ne me permettrai pas de critiquer sa voix. Il a fait choix de dire son texte de cinéphile amoureux de l'icône qu'il tente d'éclairer.

J'ai profité de ce documentaire pour faire quelques recherches et voici pour l'actualité comme pour la postérité, ce que j'ai trouvé qui n'engage que ma subjectivité :

- Excellent article dans wikipedia

- La dernière image du dernier plan de son dernier film, le 48e de sa carrière, L'Histoire très bonne et très joyeuse de Colinot trousse-chemise la montre une colombe à la main, symbole de sa vie future consacrée aux animaux. Le 6 novembre 1973 elle se fait le serment que son nom, sa gloire, sa fortune et sa force lui serviront à les aider jusqu'à sa mort, à se battre pour eux, à les venger, à les aimer et à les faire aimer

- Brigitte Bardot a eu deux existences. La première commence en 1956, avec la sortie du film Et Dieu créa la femme. Le long-métrage de Roger Vadim annonce la Nouvelle Vague et bouleverse les mœurs conservatrices. A son insu, Brigitte Bardot devient le symbole de l'émancipation des femmes et de la liberté sexuelle. Après 48 films, elle met un terme à sa carrière d'actrice en 1973, lassée par le star-système et la surmédiatisation. Elle a 39 ans. Marilyn s'est suicidée à 36 ans, sans doute accidentellement. En 1976, un reportage sur les bébés phoques écorchés vifs sur la banquise fait naître sa seconde vocation, la défense des animaux

- Le 25 novembre 2013, la Fondation Brigitte Bardot réagit suite à la prise de position de L'OMC

"C’est une position historique de l’OMC puisqu’elle reconnaît désormais le bien-être animal comme préoccupation morale, citoyenne, pouvant justifier des mesures commerciales contraignantes.

L’UE est dans son droit lorsqu’elle refuse d’importer et commercialiser les produits issus de la chasse aux phoques, elle l’a déjà fait pour les fourrures de chiens et de chats sans que cela ait entraîné un recours de la Chine auprès de l’OMC.

Les "arguments" mis en avant par le Canada et la Norvège pourraient se retourner contre eux, car c’est l’exception dont bénéficient actuellement les Inuits qui semble être remise en cause par l’OMC, sur base d’une distorsion de la concurrence. Le Président François Hollande a d’ores et déjà assuré à Brigitte Bardot, lors d’un entretien privé, que la France défendrait le maintien de l’embargo européen".

- Un article de presse : " On peut aduler la flamboyante Brigitte Bardot des jeunes années, approuver l'admirable combat de la maturité en faveur des animaux et tout autant l'exécrer pour l'effarant rejet de son fils Nicolas et les horreurs profanées à son encontre dans «Initiales B.B.», son autobiographie.

Idolâtre de la star, la journaliste Marie-Dominique Lelièvre lui consacre une hagiographie sirupeuse traversée d'épisodes terribles tel ce chapitre qui décortique le déni de maternité de l'actrice.

Tous les autres traits de sa personnalité (la sauvageonne, la bombe sexuelle planétaire, la lionne, la femme-enfant, l'égérie de son temps...) ont déjà été abondamment brossés sous la plume même de Brigitte et celle d'exégètes. Aussi, les lignes évocatrices du désamour filial ne prennent-elles que plus de relief. Un relief singulier, monstrueux, effroyable. Elevé par son père Jacques Charrier, le deuxième mari de Bardot après Roger Vadim, Nicolas vit aujourd'hui en Norvège avec son épouse et leurs deux filles. Discrètement. Loin de la mère dénaturée qui l'abandonna à sa belle-famille, dès ses deux ans, et ne le revit que de manière elliptique. Lui ne s'est jamais remis du récit abject que B.B. fit de sa grossesse. «Je ne crois pas aux liens du sang» confia-t-elle en 2009 à Christian Brincourt, reporter à Paris-Match. (Moi : et pourtant ces dénis existent, sont pris en compte, écoutés aujourd'hui, peut-être soignés ou traités par la mise en mots. Ce déni est peut-être à lier à la scène inaugurale, la réaction des parents à 7 ans après un vase cassé, obligation du vouvoiement et affirmation péremptoire que les enfants ne sont pas chez eux mais chez leurs parents ; refus de faire de la maison familiale, la maison de tous, parents, enfants. Alors je comprends que Brigitte ne croit pas aux liens du sang. Moi, non plus. Argument ou fait : dois-je aimer au nom de ces liens un père nazi, bourreau, violentant sa femme...)

«Chaque année, le 11 janvier, elle pleure. Le jour anniversaire de Nicolas» assure pourtant l'auteur, au terme d'une minutieuse et intéressante enquête. Ceux qui ont malgré tout gardé une vraie tendresse pour la dame de la Madrague qui préféra l'amour des bêtes à celui des hommes et à la vanité du cinéma ne demandent qu'à le croire."

Par Renée Mourgues
Publié le 07/02/2012 dans La République des Pyré
nées

«Brigitte Bardot, plein la vue» de Marie-Dominique Lelièvre. Ed. Flammarion. 346p. 20€, aussi en collection J'ai lu.

- La scène inaugurale. Brigitte Bardot brise une potiche chinoise familiale à l’âge de 7 ans et demi. Elle s’en souvient quarante ans après. La réaction des siens est disproportionnée. L’enfant se retrouve obligée de vouvoyer soudainement ses parents qui lui disent que leur maison n'est pas la sienne mais seulement la leur. Brrr...

- Brigitte Bardot à propos de la mort, vidéo de l'INA :

http://www.ina.fr/video/I04121197

- BB fut bien sûr mon icône, épinglée, punaisée, collée sur mes murs, placards, casiers, cahiers à Coëtquidan, Montargis, à El Aneb en Algérie, entre 1959 et 1964, donc au moment de son émergence. Dès ma rencontre avec la mouette à tête rouge en octobre 1964, le réel d'une fille réelle supplanta les fantasmes provoqués par l'excitante BB qui fit du cinéma contre sa volonté et contribua, presque à son insu, sans en faire un combat féministe, en étant seulement elle-même, naturelle, moins artificielle que son aînée, Marilyn Monroe, à l'émancipation des filles et femmes. Reléguée dans un coin de mémoire, remontant à l'évocation de films comme La vérité, Le mépris, Viva Maria, suivant et approuvant tardivement son combat pour la cause animale (quand nous avons accueilli la chatte et ses 3 chatons abandonnés par la voisine, Mimine, Miquelou, Cyrilou, Lilou, c'était en 2003 ou 2004), n'étant pas loin de penser la même chose quant au genre humain qui n'est pas éternel et qui de lui-même s'autodétruira, cet article me permet de me la remettre en mémoire, de lui retrouver une place, juste j'espère.

Ce qui est sûr, c'est que ce n'est pas avec elle que j'aurais eu l'idée d'entreprendre une correspondance sans rencontre, comme celle que j'ai eue avec Emmanuelle Arsan entre 1988 et 2005. Mais aujourd'hui, je me dis que cela aurait pu être initié.

JCG

des photos de B.B. tirées de Et Dieu créa la femme (Juliette dansant un mambo, très sensuelle, érotique, habitée, non séductrice mais séduisant avant la gifle donnée par Trintignant, quelle insolence dans le regard et pourtant elle se soumettra sans doute), du Mépris, de son combat pour les phoques (on les aura les bouchers)  et de ses 80 ans, toujours naturelle, gardant encore beaucoup de sa beauté de jeunesse; plus 3 photos de 2 cahiers de mon époque algérienne, il y a 50 ans
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Sabordage de la flotte/Toulon 27 novembre 1942

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Aujourd'hui, 27 novembre 2013,
71° anniversaire du sabordage de la flotte à Toulon
N'oublions jamais !
À la flotte !
2 pièces courtes sur le sabordage
version soft
 
(Article du 11 août 1999)
 
Pourquoi redonner vie
à la pièce de Jean-Richard Bloch

TOULON
11 novembre 1942-
27 novembre 1942-
février 1943


Il y a des signes qui font signe, qui ne demandent qu'à faire sens.
Le 23 février 1998, je découvre au Salon du Livre de Beyrouth, (ville en reconstruction après 15 ans de guerre et où je séjourne pour découvrir le théâtre libanais aux prises avec cette réalité): Toulon 1942 de Jean-Richard Bloch, dans l'édition de Moscou de 1944.
Je ne peux manquer d'être attiré par ce titre : je suis né à Toulon en 1940. Et j'y vis et y travaille depuis 1974.
Je ne peux manquer d'être intéressé par l'événement traité dans la pièce : le sabordage de la flotte, le 27 novembre 1942, puisque je lui dois de porter des lunettes, une bombe tombée dans ma chambre n'ayant pas explosé mais m'ayant fait "tourner de l'œil gauche".
Je ne peux manquer de m'intéresser à l'histoire de cette pièce : depuis 1983, j'assure la responsabilité de l'activité théâtrale au Revest, village au nord de Toulon (231 pièces y ont été créées ou accueillies en 16 ans).
Dans les bibliothèques toulonnaises, je n'ai trouvé qu'un exemplaire de la pièce dans l'édition Gallimard de 1948, acheté en 1979 et lu par 15 personnes. Voilà donc un texte méconnu, inconnu auquel le hasard redonne une chance. Editeur des Cahiers de l'Egaré (50 titres, essentiellement du théâtre, publiés depuis 1988), je rachète les droits à Gallimard pour une nouvelle édition à 1000 exemplaires parue en  novembre 1998.
 Aux Archives Nationales, j'ai trouvé le journal de bord de l'Odéon et découvert qu'il y a eu 47 représentations de la pièce à Paris entre le 8 décembre 1945 et le 29 avril 1946 et près de 20 000 spectateurs. J'ai également trouvé 16 critiques très partagées sur la pièce. Contre : Robert Kemp, Roger Nimier, Gabriel Marcel. Pour : Georges Magnane, L'Humanité.
Faire sens, c'était décider, outre de rééditer la pièce, de la faire recréér à Toulon même. Cette décision est un mélange d'envies et de risques calculés. J'ai mis 4 mois à la prendre.
Envies : remettre en lumière, un sombre épisode de l'histoire de Toulon (c'est mon rôle d'agitateur culturel, d'organisateur depuis 5 ans de l'Agora mensuelle du Revest)
remettre en lumière, un texte tombé dans l'oubli, qui fonctionne bien à la lecture (malgré des faiblesses) mais qui pose bien des questions quant à sa mise en scène : l'art du théâtre a beaucoup évolué en 50 ans (c'est mon rôle de directeur artistique).
Risques calculés : vais-je convaincre d'autres théâtres et mes partenaires institutionnels de soutenir financièrement ce projet à lourd budget : entre 1,5 MF et 2,5 MF, essentiellement les salaires des comédiens et techniciens?
allons-nous ensemble intéresser et dans quels sens, les publics de l'aire toulonnaise (la marine, l'arsenal, les commerçants, enseignants et élèves...)?
Je suis sur ce projet depuis juillet 1998. S'il se réalise, j'aimerais que ce soit à Châteauvallon, lieu éminemment symbolique dont l'amphithéâtre donne sur le port et l'arsenal de Toulon.

La lecture publique, par 8 comédiens, des 2 premiers actes de Toulon 1942, le 27 novembre 1998 au Comédia à Toulon, a attiré une centaine d'auditeurs et a suscité un débat artistique entre ceux qui aiment la pièce pour ce qu'elle est (une fiction à suspense qui accroche l'intérêt), ceux qui lui reprochent de ne pas être comme ils la voudraient (une pièce disant la vérité historique) et ceux qui trouvent que le théâtre n'a pas à remuer un passé honteux. Prolongé par un débat historique sur le sabordage, autour de la question : la flotte aurait-elle pu gagner la haute mer? les uns (des marins, des femmes de marins) affirmant que non (la passe était minée, la moitié de la flotte n'avait pas ses feux allumés, il n'y avait pas assez de mazout), les autres (des marins, des résistants, des historiens) affirmant que oui (entre le 11 et le 25 novembre, il eut été possible d'allumer les feux de toute la flotte, le mazout étant suffisant).
Dressant le bilan de 15 mois d'efforts, j'ai le sentiment et la conviction d'être porteur d'un projet de théâtre citoyen et populaire.
Théâtre citoyen parce que le travail de mémoire en amont du spectacle et provoqué par le spectacle ne fera qu'amplifier le débat tant sur l'événement que sur sa représentation. A l'heure actuelle et depuis 56 ans, c'est un sujet tabou, un événement occulté dont tout le monde peut sentir qu'il pèse lourd dans l'inconscient de la ville et de l'arsenal. Toulon et la marine pourront se regarder dans le miroir du théâtre pour y interroger dans la diversité des opinions, un épisode  douloureux  et  peut-être  un  destin  : 
Toulon  vendu   aux   Turcs   par François 1er, Toulon se vendant aux Anglais pendant la Révolution, Toulon choisissant Louis Napoléon quand le Var s'insurge contre son coup d'état (en remerciement, Napoléon III offrira à Toulon un opéra où on a vu Le Pen tenir meeting), Toulon s'offrant un maire FN en 1995, le sabordage de la flotte décidé par un amiral collaborateur au nom de l'honneur en 1942, le sabordage de Châteauvallon voulu par un préfet manipulateur en 1996.
Ce théâtre citoyen qui se déroulera, je l'espère, dans l'amphithéâtre de Châteauvallon (théâtre et agora étaient le même lieu pour les Grecs, mes références!), quels effets aura-t-il ?  Je l'ignore mais si je ne crois pas qu'un spectacle puisse suffire à produire l'effet de catharsis théorisé par Aristote, effet de purgation des passions et de liquidation des affects refoulés dans l'inconscient, nié par Brecht qui préfère l'effet de distanciation, il ne sera pas sans effets non plus.
Car ce sera du théâtre populaire. La pièce s'y prête avec ses registres mélodramatiques (les "amours" du résistant Martial et de l'espionne Alice), dramatiques (les hésitations de l'amiral alors que le temps passe et que les Allemands arrivent), tragiques (la décision impensable pour un marin de saborder sa flotte). Avec ses ficelles (la caricature des commerçants collabos : les Toutlemonde ; la peinture à la Pagnol de figures du peuple : Coquebert, Léocadie, Gégène) et ses finesses (l'inspecteur de la police lavalienne, le colonel Von Gruner).
Elle se prête aussi à un traitement contemporain et universalisant de questions pouvant parler au plus grand nombre :
Question 1  : la question de la désobéissance civile et militaire qui ne peut être esquivée aujourd'hui par personne. Car personne ne peut désormais se réfugier derrière la réponse : j'ai obéi aux ordres. Dans la pièce, de Fromanoir désobéit à Vichy, n'obéissant qu'à sa conscience et donnant l'ordre de sabordage, décision héroïque pour Jean-Richard Bloch qui s'en justifie dans son introduction : «Pourquoi j'ai porté "Toulon" à la scène ?»,  décision que la réalité imposait à la fiction (il fallait que la flotte se saborde dans la pièce puisqu'elle s'était réellement sabordée, mais il fallait qu'elle se saborde pour de "bonnes" raisons, pour la "bonne cause"), décision que nous trouvons aujourd'hui en retrait par rapport à celle qui aurait dû être prise : rejoindre les alliés, mais qui ne pouvait être prise : Hitler ne voulait pas que la flotte tombe entre les mains des alliés ; les alliés ne la voulaient pas entre les mains d'Hitler ; de Gaulle ne voulait pas qu'elle tombe entre les mains de Darlan ; Darlan voulait la garder en réserve pour négocier avec le vainqueur ; la flotte redoutée de 40 et qui a rempli sa fonction de dissuasion, au repos dans son port, était devenue obsolète en 42 et aurait souffert en mer ; de Laborde, anglophobe et pro-nazi (qu'on pense au serment qu'il a exigé de ses subordonnés, que le commandant Pothuau a refusé de prêter, aussitôt démis de ses fonctions), détestant Darlan, méprisant de Gaulle et les dissidents ennemis du Maréchal et de la France, ne pouvant faire sortir la flotte pour toutes ces raisons, ne pouvait donc que la saborder selon sa logique : le manquement d'Hitler à la parole donnée lui en donna l'opportunité. Sabotage préparé dès le 20 novembre. Sabordage exécuté par "chance" le 27 novembre. Ce  qui arrangeait tout le monde, sauf Vichy, accusant l'amiral, fidèle au Maréchal, de trahison. Sabordage qui finalement discrédita Vichy (et la marine : comme le montre la réponse de Pompidou en 1973 à l'amiral lui présentant un projet de grande flotte : il n'y aura jamais de grande flotte - pourquoi? - parce qu'il y a eu le sabordage!) et relança la Résistance jusqu'alors très minoritaire (c'est aussi l'objectif "politique" de la pièce).
Si je me suis attaché à synthétiser les faits, c'est pour montrer que la réalité est plus complexe que la fiction ( la flotte était dans une situation indécidable pour des raisons géopolitiques et son sort, comme pour un individu dans une telle situation, ne pouvait être que la folie ou le suicide : ce fut le suicide de 100 navires vidés de leurs hommes!), que la fiction théâtrale est  plus intéressante pédagogiquement et humainement que la réalité : peut-on apprendre à désobéir? quand, pourquoi, comment, à qui faut-il désobéir? (de Fromanoir peut partiellement être un modèle, de Laborde nullement!), qu'une fiction romanesque pourrait nous faire sentir les impasses dans lesquelles était et s'était enfermé de Laborde, un looser se prenant pour un seigneur, un vainqueur.
Question 2 : la question du sens de la 3e époque de la pièce, la plus problématique, montrant l'affrontement entre la "mauvaise violence" des nazis torturant et mettant à mort Jojo la prostituée, Louise l'ouvrière et "la bonne violence" des résistants exécutant sommairement (on appelle cela "justice expéditive"!) Alice la tortionnaire, Von Zass, Von Gruner, Polverelli, Niknel, Siegmund, Siegfried...
Question 3 : le sabordage de la flotte, c'est-à-dire d'une puissance matérielle et humaine (que sont des marins sans navire?), la 4e du monde en 1940, décidé par un homme sans horizon, n'est-il pas comme une métaphore de la destruction des économies physiques provoquée par des financiers à courte vue?
Encore faut-il un metteur en scène à la hauteur des défis posés par cette pièce de circonstance et de commande ? Il ne m'a pas été facile de le trouver. Là aussi, les réactions ont été diverses, depuis ce jugement lapidaire "pièce insauvable" jusqu'à ce désir nettement formulé "je brûle d'envie de monter ce texte". Le metteur en scène de Toulon 1942 de Jean-Richard Bloch sera, signe ne demandant qu'à faire sens, Bernard Bloch.
Jean-Claude Grosse
11 août 1999
article paru dans la revue Faites entrer l'infini
 
 
(Article du 27 novembre 2002)

L’histoire d’un échec :
La recréation de Toulon 1942
de Jean-Richard Bloch
à Toulon

    Un Théâtre à vif-Agora consacré au sabordage de la flotte à Toulon le 27 novembre 1942 s’est déroulé le 27 novembre 2002 à La Maison des Comoni, le théâtre du Revest, village aux portes de Toulon.
    N’ayant pu faire aboutir le projet de création de la pièce de Jean-Richard Bloch, Toulon 1942, suite aux refus de la municipalité de Toulon et du Conseil Général du Var de soutenir ce projet, et ne voulant pas l’enterrer après quatre ans et demi de travail (juin 1998 - novembre 2002), je me suis décidé à le transformer en Théâtre à vif.
    Théâtre à vif est une forme inventée par la compagnie de théâtre L’Insolite Traversée. Il s’agit en trois jours de partir de l’actualité ou d’un événement historique, de faire un montage d’articles de journaux, d’études historiques et de textes littéraires / philosophiques selon des rapports d’opposition, de complémentarité offrant sur l’actualité ou sur l’événement des éclairages multiples, de mettre ce montage en espace dans des lieux non-institutionnels, d’en laisser une trace imprimée.
    Les 4 Saisons du Revest ont repris à leur compte, cette forme pour faire vivre l’héritage et l’esprit de L’Insolite Traversée, après la dissolution de la compagnie.
    Le premier Théâtre à vif, nouvelle formule, s’est déroulé à la Tour du Revest le 11 septembre 2002, en relation avec les attentats du 11 septembre 2001.
    Pour le Théâtre à vif consacré au sabordage, nous avions pensé louer un bateau et effectuer six rotations dans la rade entre 5h et 18h, pour 100 personnes à chaque rotation.
    L’absence de moyens nous a contraints à faire appel à la solidarité des écrivains et des comédiens, et à organiser ce Théâtre à vif à La Maison des Comoni. Le 29 juin 2002, nous réunissions les auteurs pressentis pour évoquer l’histoire de la pièce de Jean-Richard Bloch, l’histoire du projet Toulon 1942 depuis juin 1998, les axes possibles d’écritures. Cinq auteurs non rémunérés ont livré huit textes d’un quart d’heure : Gilles Desnots, Philippe Malone, Henri Milian, Sylvie di Roma, Jean-Claude Grosse. Le 23 septembre 2002, le collectif des compagnies varoises se saisissait des textes pour les mettre en espace. Neuf compagnies ont travaillé gratuitement pour rendre possible ce Théâtre à vif.
   
    Le Théâtre à vif du 27 novembre 2002 s’est déroulé de la façon suivante :
- entrée libre
- présentation de la soirée par Jean-Claude Grosse
- mise en espace d’un extrait de Toulon 1942 de Jean-Richard Bloch par la compagnie des Menteurs et le Théâtre de l’Imparfait    
- mise en espace de Oui ou Non ? d’Henri Milian par la compagnie Artscénicum et le Théâtre du Nord Varois   
- mise en espace de Faites votre choix ! de Sylvie di Roma par la compagnie Sur le Chemin des Collines et Kaïros Théâtre
- pause
- mise en espace d’A la flotte ! de Jean-Claude Grosse par la compagnie des Menteurs et le Théâtre de l’Imparfait    
- mise en espace de Triptyque sans sabord de Gilles Desnots par la compagnie Le Bruit des Hommes et la compagnie Hi-Han   
- mise en espace de G-7 de Philippe Malone par la compagnie Les Draïs
- débat animé par Philippe Granarolo avec la participation de l’historien Jean-Marie Guillon
- buffet et vin de l’amitié
Le Théâtre à vif-Agora a duré 3 heures (1heure 1/2 de théâtre, 1heure 1/2 de débat) et a rassemblé 150 personnes.
    Une exposition de photos et de livres accompagnait le Théâtre à vif. Une vidéo de France 3 et une cassette audio de l’émission Les Jours du Siècle consacrées au sabordage étaient mises à disposition. Un cahier de l’Egaré consacré à ce Théâtre à vif-Agora a été édité à 100 exemplaires. Ce cahier de 108 pages comprend les six textes mis en espace, les trois textes non mis en espace, l’histoire de la pièce de Jean-Richard Bloch, son analyse par Sylvie Jedynack, l’histoire du projet Toulon 1942 depuis juin 1998 avec les articles de presse parus à ce sujet, le dossier écrit par l’historien Jean-Marie Guillon.

    Quelle analyse faire de cette histoire ?

- les politiques étaient partagés : soutenir ou non ce projet ?
    entre 1998 et 2001 (Toulon FN), aucune aide n’a été demandée à Toulon ; dés 1999, le Conseil Général du Var (Président : Hubert Falco, Vice-Président Culture : Arthur Paecht) est hostile ; la Région (Président : Michel Vauzelle, Vice-Président Culture : Christian Martin) est favorable : elle vote 200.000F dont 50.000 seront dépensés ; l’Etat est d’abord favorable (quand Toulon est FN) puis souhaite le consensus de tous les partenaires (quand Toulon est gagnée par Hubert Falco en mars 2001)
    après les élections de mars 2001, une réunion est organisée le 10 mai 2001 au Revest regroupant Le Revest, Toulon, le Département, la Région, l’Etat, les six théâtres de l’aire toulonnaise, le metteur en scène, des membres de la famille de J.R. Bloch ; la réunion débouche sur un accord à hauteur de 1MF. Dés juillet, un dossier d‘aide est déposé à Toulon, à hauteur de 200.000F ; le consensus de façade du 10 mai 2001 est rompu en janvier 2002 : Toulon ne soutient pas, le Conseil Général pas davantage ; je renonce au projet par courrier en février 2002 puis je mets en place le Théâtre à vif qui se déroulera gratuitement. Le texte A la flotte, sur un mode parodique, met en présence et en face à face les arguments des uns et des autres : les politiques et les artistes ; les seuls qui ne se soient pas manifestés, ce sont les gars de la marine, toujours muette mais très influente et ménagée (exception notable : la lettre du préfet maritime en 1998 refusant l’accès au Clémenceau, qui 5 ans après, erre en Méditerranée à la recherche d’un chantier de démolition)
    une mention spéciale est à donner à Claude-Henri Bonnet, l’adjoint à la culture d’Hubert Falco ; son hostilité au projet a été motivée à la fois par des considérations personnelles (son père était officier à bord d’un navire au moment du sabordage ; et lui-même a été officier de marine avant d’être à la fois adjoint au maire de Toulon et directeur de l’Opéra de Toulon, lieu fréquenté pour l’essentiel par la bourgeoisie toulonnaise et la marine) et par des considérations historiques, politiques et artistiques (il méprise le réseau des théâtres de l’aire toulonnaise).

- les metteurs en scène pressentis ont joué un double jeu :
    *Jean-Louis Hourdin, d’abord enthousiaste, rêvant d’une revue des formes théâtrales des années 30 (cabaret expressionniste, mélodrame bourgeois, théâtre d’agit-prop, théâtre d’avant-garde…) s’est désisté sans motiver ses raisons
    *Bernard Bloch, enthousiaste pour des raisons politiques en 1999 (le FN était encore aux commandes à Toulon) considérait en 2001 que l’urgence était ailleurs (Toulon était passée entre les mains de la droite républicaine) ; d’autre part, ses réserves sur la pièce l’avaient conduit à envisager d’abord une réécriture, ensuite une  mise  à la question de la pièce ; bref, Bernard Bloch porte une responsabilité non négligeable dans le fiasco ( il a attendu le 9 mai 2001 pour dire qu’il n’aimait pas la pièce, affirmant que ce pouvait être une motivation aussi forte pour un metteur en scène que l’amour)
La réussite comme l’échec d’un projet sont liés à des conditions favorables ou défavorables. Pour Toulon 1942, les réticences politiques de la droite toulonnaise et varoise étaient trop fortes. La mise en échec du projet s’est faite en douceur ( en faisant traîner, en laissant espérer, en mettant en avant l’absence de moyens financiers).
Le journal Var-Matin (du groupe Lagardère), pourtant informé par un dossier de presse très détaillé du Théâtre à vif du 27 novembre 2002 et en possession du Cahier de l’Egaré consacré au 60e anniversaire du sabordage n’a pas annoncé la seule manifestation qui ait eu lieu pour cet anniversaire, s’appropriant l’anniversaire en consacrant une page de mémoire au sabordage. Cette partialité, cette hostilité m’ont amené à ne plus communiquer nos activités à ce journal sans déontologie.
Ecrivains et comédiens ont, sans moyens , pris la parole, faisant échec à la censure douce mais réelle du projet initial. Donc, même si les pouvoirs locaux (mairie, département, marine, presse) ont mis en échec le projet de recréation de Toulon 1942 de Jean-Richard Bloch, ils n’ont pas empêché une expression gratuite d’artistes libres sur le sabordage.
La soirée du 27 novembre 2002, inégale sur le plan théâtral (par manque de temps et par absence de moyens) a montré, par la scène représentée de la pièce de Jean-Richard Bloch, que la pièce fonctionne encore bien.
Comme l’a dit l’historien Jean-Marie Guillon, la soirée du 27 novembre 2002 appartient déjà aux historiens car si ceux-ci ont à dire le pourquoi et le comment du sabordage, ils ont aussi à montrer comment et pourquoi le travail de mémoire se fait, dans un rapport de forces entre ceux qui veulent oublier, ceux qui veulent se souvenir, ceux qui veulent comprendre, ceux qui ne voient que par le présent…
En conclusion en me lançant dans ce projet que je savais difficile, je pensais arriver à lever les difficultés. La réalité a été différente de mes espérances. La pièce de Jean-Richard Bloch reste à découvrir.

 
    Jean-Claude Grosse
Directeur artistique des 4 Saisons du Revest
27 novembre 2002

 
Toulon 1942
Jean-Richard BLOCH
Texte à jouer

Guerre
Les Cahiers de l'Égaré

 
Pièce écrite à Moscou dans les semaines qui ont suivi le sabordage de la flotte le 27 novembre 1942 à Toulon. À la différence de la réalité, Jean-Richard Bloch s'est efforcé de trouver au sabordage de bonnes raisons idéologiques, pour contribuer à la résistance française à l'occupant nazi.
ISBN:   2908387417  -  160 p.  -  15X21  -    PVP:   7,5 euros

Le Strasbourg, sabordé, le 27 novembre 1942 à Toulon sur ordre de l'amiral de Laborde.

Dans la pièce de J.R.Bloch, Le Strasbourg est un des personnages. L'amiral de Fromanoir a d'autres motivations que celles de de Laborde. Une pièce qu'il n' a pas été possible de faire recréer à Toulon suite à l'opposition de la municipalité dirigée par Hubert Falco, du conseil général du Var dirigé à l'époque par Hubert Falco avec comme président de la commission culture, Arthur Paecht. Seul, le conseil régional PACA, dirigé par Michel Vauzelle avait donné un avis favorable et a permis la réédition de cette pièce retrouvée par hasard à Beyrouth dans l'édition de Moscou 1944.
Au moment de la redécouverte de cette pièce, en 1998, la presse s'en est saisie pour une polémique normale sur un sujet aussi tabou à Toulon. Le bulletin municipal gratuit de la municipalité FN de Toulon (1995-2001) et Présent, le journal du FN ont été très hostiles. L'Humanité-Dimanche, favorable. L'arrivée à la mairie d'Hubert Falco, en 2001, n'a rien changé à l'hostilité. Le préfet maritime de l'époque, auquel Les 4 Saisons du Revest avaient demandé que la pièce soit créée sur Le Clémenceau  qui pourrissait déjà dans la rade de Toulon, avait répondu négativement, au nom de la neutralité de la marine.
 

(Bocal agité du 28 janvier 2006)
un des textes produits
 
Le Clémenceau - Hier, majestueux, glorieux, craint, respecté sur toutes les mers du monde, amarré, aimanté à Toulon.
Aujourd’hui, largué, sabordé, pris d’assaut, amianté, apatride.
200.000 dollars pour franchir le canal de Ferdinand. Pas arrivé à Alang. Revenir à Brest  par le Cap de Bonne-Espérance: un comble!
Que d'argent, de déshonneur!

Voyage au bout de l’enfer pour ma grosse carcasse méprisée.
Honte aux décideurs, aux  galonnés, à la France. Au tour de l'ex-France! Puis ce sera le tour du de Gaulle avec ses réacteurs...

 
L'amiral de Saborde, photo du bas à gauche.

de Laborde  -  Ne rompez jamais les amarres. Ne prenez jamais le large.
Rivés à vos rivages à jamais, prêts à vous saborder, bateaux de guerre de la Royale, restez fidèles au Maréchal.
Le Strasbourg, navire amiral labordé sur ordre de l'amiral de Saborde, abordé par un char de la Wermacht.

Dumont d'Urville  -  Taratata. Entendez l’appel du large. À la découverte. À la conquête.
À l’assaut. Colonisez l’Algérie, les îles à paradis.

Vauban  -  Toulon, mon port de guerre pour la plus belle rade d’Europe.
Écoutez ma chanson : Trois petites notes de musique………militaire pour effrayer l’ennemi, soumettre l’infidèle, civiliser le sauvage, plaire aux femmes à matelots, mettre en rangs les matelots sans femme.

Raimu - Et Pomponnette dans tout ça ? Pourquoi, elle vadrouille sous les étals du cours Lafayette, dans les rues de Chicago, sur les toits du Mourillon.


Hugo -  Galèje, va, avec l’accent. Quels yeux as-tu pour ne pas voir les Misérables, ceux du bagne, ceux des cités : La Beaucaire, Le Guynemer, Les Œillets ? Ils ne veulent plus de cette ville en archipel avec ses bourgeois au Faron, ses amiraux au Cap Brun, ses SDF à la gare, ses matelots à la colline Saint-Pierre, ses gitans à La Ripelle, ses fous à l’Arthémise, ses fans au Zénith Oméga, ses supporters à Mayol, ses branchés à Châteauvallon, ses ringards à l’Opéra.
Ce qu’ils veulent, c’est Tous ensemble, place de la Liberté, au rendez-vous de la fraternelle Égalité.

L'homme de là-haut - Ville immobile, impossible. À la remorque des loosers sans envergure auxquels elle se donne.


La tragédienne est venue - Là-haut sur la colline inspirée, j’ai interprété la tragédie d’Eschyle : Les villes mortes se ramassent à la pelle. J’étais semblable à Cassandre : personne n’a entendu ma voix, emportée par le mistral déboulant du mont Caume.

Cuverville -  Au cul, Toulon. Regarde au-delà de l’horizon.
Les photos du sabordage de la flotte à Toulon, le 27 novembre 1942, ont été réactualisées avec un N° spécial des Cahiers de l'Égaré, édité pour le Théâtre à vif - Agora du 27 novembre 2002 à La Maison des Comoni, le théâtre du Revest. Ce N° est épuisé mais, on trouvera sous peu sur ce blog des documents issus de cette soirée qui rassembla 150 personnes et dura 3 H. Soirée non annoncée par Var-Matin.
Maurice Hubert
 
Photo JCG prise au Cape of Good Hope, été 2003.
L'autruche fera l'autruche quand passera Le Clémenceau
et qu'un sous-marin inconnu le coulera dans les eaux profondes.

 

The President has been shot/On a tiré sur le Président

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Lire l'assassinat de Kennedy avec la grille du hasard, des pétrifiantes coïncidences, est-ce possible ? concevable ?

50 ans après l'assassinat de JFK, je me suis intéressé à ce qu'on en dit aujourd'hui. J'ai lu le dossier du Nouvel Observateur, quelques articles d'autres magazines, parcouru le blog de Philippe Nau, lu le livre de Philippe Labro, On a tiré sur le Président, vu le documentaire de Patrick Jeudy sur Arte, Dallas, une journée particulière.

Il y a quelques années, j'avais lu des livres sur les Kennedy, sur Hoover (Marc Dugain), la trilogie de James Ellroy. 1400 livres ont déjà été consacrés à cette affaire.

M'étant intéressé à la disparition de Marilyn Monroe, j'avais croisé bien sûr les frères Kennedy.

Les théories du complot ont la vie dure dans les deux cas.

Je crois que l'existence de ces théories tient à une raison, l'incrédulité. On ne peut admettre ce qui s'est passé surtout si c'est une tragédie sans raison (expression de Labro) ou pour le dire autrement, si c'est dû à de pétrifiantes coïncidences comme disaient les surréalistes. Le hasard objectif.

The President has been shot. L'auteur des coups de feu, avéré, Lee Harvey Oswald, ignorait quand il trouva son petit boulot le 16 octobre 1963 à la Texas School Book Depositary qu'un voyage présidentiel aurait lieu à Dallas, que le convoi passerait sous sa fenêtre du 5° étage. 48 heures avant le cortège, il n'avait pas encore envisagé son coup. Il tira 3 fois, le vendredi 22 novembre 1963 à 12 H 30. Il fut arrêté 45 minutes plus tard après avoir tué le policier Tippit qui voulait le contrôler. Il fut abattu le dimanche matin 24 novembre à 11 H 21 par Jack Ruby qui lui aussi n'avait pas préparé son coup mais qui, sous les effets de la upper qu'il absorbait et choqué par la disparition de son cher Président voulut faire justice à la Texane, arme au poing. Il est tombé pile sur Oswald quand celui-ci allait être transféré, avec une heure de retard, alors qu'il venait de faire la queue à une banque pour un virement. Un client de plus et il arrivait trop tard. Si j'avais planifié tout cela, je n'aurais pas pu le faire mieux, je n'aurais pas pu avoir un meilleur timing. C'était une chance sur un million. Il a dit ça, juste après. Il a eu sa chance et l'a saisie pour entrer dans l'Histoire croyait-il comme d'ailleurs sans doute LHO.

Voilà me semble-t-il les pétrifiantes coïncidences qui conduisent à l'assassinat du Président puis à l'assassinat de l'assassin, nous privant d'aveux et de procès. 3 hommes furent enterrés le même jour, en 3 endroits différents, le lundi 25 novembre 1963, dans l'ordre, JDT, LHO, JFK. Ruby fut condamné à mort et mourut d'un cancer début 1967, n'ayant sans doute pas compris pourquoi il n'avait pas été glorifié et relaxé pour son travail de justicier.

Si des statisticiens géniaux avaient évalué la probabilité de ces pétrifiantes coïncidences, ils auraient dit une chance sur un million ou un milliard peut-être. Mais Kennedy ayant atterri à Love Field, avait dit à Jackie : si quelqu'un veut me flinguer, il y arrivera et ça aussi : on arrive au pays des cinglés, nut country.

Tout opposait JFK et LHO. Ils ne se seraient jamais rencontrés si le hasard, il y en a qui vont changer le mot pour dire destin, n'avait pas fait se rencontrer une ligne de tir et une limousine découverte à l'arrière droite de laquelle se trouvait JFK, pour quelques secondes dans la ligne de mire de LHO. Une fois les coups tirés, on est dans le destin, c'est terminé, c'est écrit.
Bien sûr, on peut multiplier les coïncidences pétrifiantes, les lents réflexes des services de protection rapprochée, le Secret Service, l'absence de sécurisation du parcours, le chaos ou le bordel qui suit l'événement jusqu'à l'assassinat de LHO par Jack Ruby qui comme la presse, accède si facilement aux locaux de la police où il est connu de tous.

Les théories du complot veulent des raisons, des exécutants, des commanditaires. Il faut abolir le hasard et que l'irrationnel devienne rationnel. On cherche toutes les failles, incohérences des deux rapports. Mais rien de convaincant n'en est sorti, pas une preuve. Il y a eu destruction de preuves. Oui, mais c'est Bob Kennedy qui fait détruire les archives concernant JFK et les femmes, JFK et la Mafia, c'est Hoover qui en fait détruire d'autres concernant les insuffisances de ses hommes du Texas. C'est ainsi que l'édification du mythe d'un président d'exception voulu par Jackie Kennedy et Bobby put se développer. Et ça a marché. N'importe qui ne devient pas un mythe. Le Kennedy d'hier, aujourd'hui, n'aurait guère de chances de tenir longtemps comme président. Il serait harcelé pour abus de femmes consentantes.

Toutes les archives seront publiques en 2017 (et 2029 pour certaines). Mais les chercheurs ont pu déjà les consulter. Il y a peu de chances que quelque chose de nouveau en sorte. Mais sait-on jamais.

Je trouve que l'approche par les pétrifiantes coïncidences est sans doute vraie et est autrement plus stimulante pour s'interroger sur nos destins que les théories voulant trouver des raisons. On peut voir le hasard à l'oeuvre dans cette tragédie. Hasard destructeur, semeur de mort et renversement, créateur de légendes (tous ceux qui écrivent dessus, même les farfelus à pouvoir comme le juge Garrison, ont leur heure de gloire). Le hasard a fait se rencontrer pour et dans la mort un président et un errant, un reconnu et un inconnu en quête de reconnaissance, il a permis à certains de faire de la mort d'un Président, un mythe qui a déjà, comme pour Marilyn, 50 ans d'existence. La fin tragique de Kennedy a profité et profite encore aux Kennedy, à une certaine image des USA et à certains successeurs de JFK.

Disons que l'important devant cette intervention massive du hasard n'est pas la question : qu'aurait fait Kennedy s'il n'avait pas été assassiné ? mais qu'a rendu possible son assassinat ? Retour au réel en passant par le clinamen épicurien, la petite déviation qui change une trajectoire, les détonations qui atteignent une cible choisie en même pas 48 heures parce que l'opportunité, la chance se présente.

De cette tragédie, je retiens deux images. Elles concernent Jackie Kennedy,

- grimpant sur le capot arrière de la limousine pour tenter de récupérer une partie de la cervelle explosée de JFK (place à l'imagination d'un génial écrivain en l'absence de paroles de Jackie)

- et assistant dans son tailleur rose tâchée de sang à la prestation de serment précipitée de LBJ.

Johnson avait calculé qu'un vice-président avait une chance sur cinq de devenir président et avait donc accepté, en attendant son tour, d'être dans l'ombre de JFK alors qu'il avait une position de pouvoir considérable comme vice-président du sénat américain. Le Texan, méprisé par Bobby, sut donc aussi se servir de ce hasard, sa chance.

Kennedy avait le sens de l'éphémère. Homme de réflexion, cultivé, homme d'action, sachant prendre des responsabilités, il y avait aussi chez lui, un certain fatalisme, on ne peut tout contrôler. Il faut accepter ce qui vient et qu'on ne maîtrise pas, la possibilité d'être assassiné. Il se savait assassinable. Ayant frôlé la mort, ayant fait preuve d'un courage héroïque dans le Pacifique, éduqué pour la gagne et craignant plus que tout de perdre, perdre c'est l'enfer, après que l'aîné disparu, c'est sur lui que reposa le destin présidentiel voulu par leur père, fort et faible (il ne sut pas résister aux femmes qui se ruaient sur lui, il ne les cherchait pas, son addiction était sans doute maladive et aujourd'hui peut-être se soignerait-il car aucune chance de devenir président avec un tel comportement ; l'omerta qui a si bien fonctionné avec lui, avec Mitterrand, ne fonctionne plus, voir DSK), ne montrant rien de ses maladies et douleurs l'obligeant au corset, aux cachets, sachant tirer leçon de ses échecs (la baie des Cochons à Cuba en 1961) pour ensuite faire triompher son point de vue (la paix par la fermeté et la négociation plutôt que la guerre dans l'affaire des missiles soviétiques à Cuba en 1962), Kennedy me semble-t-il savait composer avec le hasard ou plutôt il savait que le hasard pouvait le servir comme le desservir. Question en partie seulement d'évaluation, de contrôle de soi, de volonté car il y a de l'irréductible. Jamais un coup de dés n'abolira le hasard. Le 3° coup de feu de Dealey Plazza, celui qui fracassa le crâne de JFK fut un coup décisif voulu par un autre que lui, contre lui.

Tout mon développement concerne le hasard, producteur de mort. D'innombrables morts interviennent suite à de pétrifiantes coïncidences. Quelques unes sont naturelles. Beaucoup accidentelles.
Il faudrait prolonger la réflexion en se demandant et si on vivait sa vie en la livrant sciemment au hasard, aux pétrifiantes coïncidences, à la roulette russe, aux dés. Tiens ce matin, pour décider de me lever, un tour de barillet du révolver chargé à blanc, pour aller ou non au boulot, pile ou face, pour voter, trois tours de barillet chargé pour de bon, pour l'épouser, un coup de dés ... Putain, là-haut, ils-IL- serai(en)t fous. Et nous donc ...

Cioran a dit un jour qu'après avoir entendu un astronome parler de l'univers, de ses dimensions, il avait décidé de ne pas se raser. Voilà, c'est ça, livrer sa vie au hasard, opérer un lien entre une habitude et une information, décider de s'adresser à cette personne dans la cohue du métro (quand je le fais, en général, ça donne des choses intéressantes) ou à son voisin au resto en lui demandant s'il n'est pas le commissaire du quartier, (non, il ne l'est surtout pas, il est militant FO à la Sécu, tiens, moi j'ai été chez les Lambertistes, il était FO à la Sécu aussi, vraie anecdote au resto Le Dogon); la vie se pimenterait d'imprévus, de surprises qu'on provoquerait sans trop savoir les effets et jusqu'où. Au lieu d'écrire De l'inconvénient d'être né, Cioran aurait dû écrire Et si on se livrait au hasard.

Un auteur, Gérard Lépinois, s'est livré à l'exercice dans Le hasard et la mort (Les Cahiers de l'Égaré).

JCG

Jackie se précipite sur le coffre de la limousine pour tenter de récupérer une partie de la cervelle explosée de JFK. Ruby se précipite sur Oswald et tire un seul coup de feu qui fit des dégâts considérables et tua l'assassin du Président. Le crâne explosé de Kennedy.
Jackie se précipite sur le coffre de la limousine pour tenter de récupérer une partie de la cervelle explosée de JFK. Ruby se précipite sur Oswald et tire un seul coup de feu qui fit des dégâts considérables et tua l'assassin du Président. Le crâne explosé de Kennedy.
Jackie se précipite sur le coffre de la limousine pour tenter de récupérer une partie de la cervelle explosée de JFK. Ruby se précipite sur Oswald et tire un seul coup de feu qui fit des dégâts considérables et tua l'assassin du Président. Le crâne explosé de Kennedy.

Jackie se précipite sur le coffre de la limousine pour tenter de récupérer une partie de la cervelle explosée de JFK. Ruby se précipite sur Oswald et tire un seul coup de feu qui fit des dégâts considérables et tua l'assassin du Président. Le crâne explosé de Kennedy.

Tombé hors du temps/David Grossman

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Tombé hors du temps

récit pour voix

David Grossman

Points Seuil fin 2013

une longue note sur Tombé hors du temps de David Grossman qui me permet de me poser la question, la mort est-elle justifiable ?


« Un homme quitte soudain la table du dîner, fait ses adieux à sa femme, après avoir gardé pendant cinq ans le silence sur « cette nuit-là ». Il se met en route pour « là-bas », à la recherche de son fils mort. De jour en jour, sa marche autour de la ville se fait plus obstinée. D’autres parents qui ont aussi perdu un enfant le suivent. Parmi eux, un cordonnier, une sage-femme, un centaure-écrivain tentent d’accepter l’intolérable, de matérialiser l’absence radicale de ceux qu’ils pleurent. Un chroniqueur commente leurs faits et gestes. Ainsi par la force et la grâce de la poésie, les personnages de ce récit polyphonique envoûtant parviennent un bref instant à rejoindre leurs disparus et à rompre la solitude que le deuil impose aux vivants. »

« Avec ce récit pour voix, David Grossman entre pleinement dans le monde du théâtre et de la poésie. Toute la pièce est tendue vers cet instant qui ne restera qu’un instant où tous se rejoignent, vivants et disparus. J’ai choisi de faire entendre sur le plateau toutes les voix et tous les personnages, ou presque, de cette œuvre polyphonique, que David Grossman ne nomme ni pièce, ni scénario radiophonique ni livret d’opéra, mais « créature ».

Son texte est écrit comme une fugue et il est incroyablement musical. Les personnages attirés par une sorte d’onde magnétique se rassemblent autour de l’homme qui marche et qui avance tel le joueur de flûte de Hamelin. Ils marchent avec lui, nouvel Orphée, qui les guide, les précède. Les acteurs portent la langue de David Grossman, cette langue qui pour lui est une manière de rendre le monde plus « nuancé ». Cette pièce est une expérience humaine et artistique, pour ceux qui l’interprètent comme pour ceux qui l’écoutent, où la parole est toujours à la limite du chant. C’est la tentative selon David Grossman, de « séparer la mémoire de la douleur ». » - Blandine Masson

J'ai lu ce récit pour voix et je l'ai aussi écouté dans l'enregistrement de France-Culture du 13 juillet 2013 dans la cour du Musée Calvet. Ce n'est pas la même expérience. 110 minutes pour entendre une lecture à voix haute forte, inspirée. Je pense que des frissons ont dû circuler, lier les auditeurs. La lecture du livre m'a demandé 3 jours, par interruptions, pour respirer, assimiler, comparer le récit de Grossman et ce que j'ai pu tenter d'écrire depuis la disparition du fils il y a 12 ans et celle de la mère il y a 3 ans, les deux disparitions me semblant liées.
Grossman convoque pas mal de personnes, un cordonnier, sa femme, sage-femme, un écrivain en panne, un vieux professeur de mathématiques, une ravaudeuse de filets de pêche, l'homme qui part là-bas, sa femme qui reste là, ici et monte au clocher du village, le duc et son bouffon, le chroniqueur de la ville. Aucun, chacun ayant perdu un fils ou une fille, d'âges différents, dans des circonstances différentes, en des lieux différents, ne vit le deuil de la même manière. Les sans noms (faudra bien en inventer un pour désigner les parents perdant leur enfant alors qu'il existe veuf, veuve, orphelin, orpheline) s'expriment par eux-mêmes mais aussi à travers ce qu'en rapporte le chroniqueur de la ville auquel le duc a interdit de penser, de parler de son propre drame. Récit en deux parties, la première étant le parcours singulier de chacun, la seconde, le parcours de tous vers l'enfant. Ce récit propose des formules, des questions d'une force étonnante. Je ne vais pas les énumérer (sépare la mémoire et la douleur, tu ne pourras plus jamais dire JE, approximativement) mais elles valent pour tous et pas seulement pour les sans noms car devant la disparition d'êtres chers, nous sommes douleur, révolte, colère, chagrin qui s'apaise, apaisement, acquiescement, acceptation, espoir aussi pour certains. Les différents protagonistes de cette marche vers LÀ-BAS, vers le disparu, vers la mort, celle de l'autre mais aussi la sienne propre semblent au bout de leur chemin particulier, dans leur marche funèbre finale, capables de dire tous ensemble que vie et mort sont deux faces, deux moments d'une même réalité.

En ce qui me concerne, j'ai un cheminement centré exclusivement sur mes pertes. Ce qui m'importe, ce n'est pas la catharsis possible permise peut-être avec mes mots, c'est la tentative de tirer un universel possible de ce que nous vivons tous : nous sommes mortels, certains nous précèdent, des enfants partent plus tôt que prévu, des épousées encore jeunes s'en vont, foudroyées. Peu importe les circonstances, âges. Est-ce acceptable autrement qu'en croyant à une vie après la mort ou en acceptant le retour aux poussières d'étoiles que nous sommes ? Est-ce justifiable, la mort ?

Une approche métaphysique et non un cheminement personnel plus ou moins psychologique me semble possible. Il s'agit d'aller vers une vérité pour tous et non vers une consolation personnelle même si bien sûr, la recherche d'une consolation est tout à fait légitime et pratiquée par le plus grand nombre.

Quelle peut être cette vérité universelle ? Naître n'est-ce pas faire injustice à notre insu à ceux qui ne naissent pas ? Je suis le résultat de la rencontre entre un spermatozoïde plus vigoureux qui en élimine des milliards dans la course à l'ovule fécondable. N'est-ce pas la dette initiale de tout vivant ? La mort serait la réparation de cette injustice première, elle serait retour aux choses, retour à l'indéterminé quand la naissance est détermination. Par la naissance, la phusis, la nature infinie, éternelle, indéterminée, créatrice de mondes mortels, inédits, donne la vie. Par la mort, elle retire exactement ce qu’elle a donné. C’est la justice de la Nature, la diké, justice cosmologique. Ainsi est justifiée la mort qui cesse d'être un scandale mais une nécessité cosmologique, j'insiste, non une nécessité morale car la naissance d’un monde réel fait injustice aux mondes virtuels qui ne sont pas nés à la place de celui qui a été engendré. La mort est donc réparation de l’injustice initiale, cosmologique, amorale. L’homme, par son hybris, sa démesure veut séparer sans succès naissance et mort, vivre et mourir, il rêve vainement, faussement, injustement d’immortalité. Dit ainsi, c'est abrupt mais ça me semble ce que Grossman (et beaucoup d'autres) cherche sans réussir à le trouver et à le dire. C'est quoi la mort, TA MORT, mon chéri, ma chérie, MA MORT ? C'est un moment du temps infini, c'est le retour au temps éternel de ce temps fini que fut ta vie, ma vie, une éloïse, un éclair dans le cours de la nuit éternelle, dit Montaigne. Avec une telle métaphysique, le titre Tombé hors du temps, tombe à côté de l'essentiel car créant du non-temps et du non-être là où il n'y a pas à séparer. Je dirai pour finir que cette pensée, forte, difficilement acceptable car nous sommes convaincus de notre nécessité ou au moins de notre unicité, de notre singularité, est une pensée fortifiante, apaisante, réconciliatrice parce que nous reliant au TOUT, à la NATURE. C'est de plus la pensée du premier philosophe, Anaximandre, dont il ne nous reste qu'une Parole. Il est assez peu compréhensible qu'une telle métaphysique de l'infini et de l'infinité des mondes finis ne soit pas plus investie. Comme si on avait perdu 2700 ans. Évidemment, le récit de Grossman est plus stimulant que le film Au-delà de Clint Eastwood ou même que The Tree of life de Terrence Malick. C'est bien quand même que des films tentent aussi de se coltiner avec ça. Rester sur sa faim est sain.

Carlo Rovelli, un de nos grands cosmologistes, a consacré à notre philosophe trop peu étudié, un livre Anaximandre ou la naissance de la science, chez Dunod, 2009.

On tirera le plus grand profit du livre Anaximandre, Fragments et témoignages, lumineusement présenté, traduit et commenté par Marcel Conche, aux PUF, 1991.

La Parole qui subsiste :

D'où les choses ont leur naissance, vers là aussi elles doivent sombrer en perdition, selon la nécessité; car elles doivent expier et être jugées pour leur injustice, selon l'ordre du temps ou selon la nécessité ; car ils se paient les uns aux autres châtiment et pénitence pour leur injustice

Les choses retournent d'où elles viennent par nécessité, car elles se rendent mutuellement justice et réparent leurs injustices selon l'ordre du temps

Toutes choses ont racines l'une dans l'autre et périssent l'une dans l'autre, selon la nécessité.
Elles se rendent justice l'une dans l'autre, et se récompensent pour l'injustice, conformément à l'ordre du temp
s.

"Trois évènements sans lesquels aucun être n’existe – venir au jour, séjourner, périr – trois évènements qui n’en font qu’un, puisqu’il s’agit des trois moments de cet évènement qu’est l’être lui-même (le fait même d’être) pour ce qui est. [...] Genesis, ousia et phtora désignent un seul évènement qui se continue – se continue jusqu’à son terme. Si donc, la genesis, l’ousia et la phtora sont temporellement déterminées, elles ne le sont pas à part l’une de l’autre : il s’agit de trois déterminations qui n’en font qu’une. Genesis, ousia, phtora, sont l’évènement génération-existence-destruction, ou des feuilles, ou des hommes, ou des cités, ou des nuages, ou des vagues de la mer.", un des commentaires de Marcel Conche.

APEIRON et PRAGMATA : l'illimité et les choses

A l'aube de la pensée occidentale résonne la phrase d'ANAXIMANDRE : "'Ce dont naîssent toutes choses est aussi ce vers quoi procède la corruption selon le nécessaire : toutes choses se paient les unes aux autres la peine et la réparation de leur injustice suivant l'ordre du temps". Enonciation énigmatique s'il en est, et d'une originalité absolue. Ce dont procèdent toutes choses (ta panta) c'est l'Apeiron, l 'Illimité, ou l'Infini. Mais illimité est plus juste, en ce que le grec dit bien "a-peiron", le non-limité, ce qui s'oppose à "peras", la limite. Ce terme d'Apeiron n'est pas un concept au sens strict puisqu'il ne désigne rien d'assignable, rien de définissable, rien qui puisse s'opposer à quelque autre réalité. L'Apeiron c'est le Tout qui englobe tout, toutes les choses particulières et finies (ta panta : toutes choses). Fondement inconditionné, inengendré et impérissable. Les choses naissent, se développent et meurent, toutes les choses, mais l'apeiron ne naît ni ne meurt, non qu'il soit séparé et transcendant (erreur des métaphysiques de type dualiste) , mais en ce qu'il contient toutes choses, est présent en toutes choses, fonde et fait disparaître toutes choses dans un éternel et inconcevable recommencement. Il est source absolue, fleuve portant, océan immense, englobant, nullement saisissable en aucun des éléments qui pourtant le constituent mais n'en épuisent pas la nature. Ne nous précipitons pas vers quelque théodicée : les dieux eux-mêmes sont soumis au destin, les dieux eux-mêmes sont apparus en un temps incertain, et s'ils ne meurent pas, ils ne sauraient pour autant s'égaler à ce qui les dépasse et les contient. Hommes et dieux, deux espèces parallèles, inégales certes, mais nées de la même mère (Pindare). En somme, l'eau primitive isolée par Thalès dans ses premières spéculations sur la Physis, et la terre, et le ciel, et l'éther, et les planètes, et le soleil, et les plantes et les animaux et les hommes et les dieux : toutes choses particulières, finies, toutes régies par l'insondable et éternel Apeiron!

Ce qui est remarquable, ici, c'est qu'Anaximandre dépasse d'un vol, haut vol, toutes les spéculations sur les éléments (eau, terre, feu, air ou éther), toutes les mythologies qui narraient les origines de l'univers et des dieux (Hésiode) pour dégager cette intuition extraordinaire du fond absolu, indéfinissable, irréductible à rien d'étranger à soi, complet, total et autosuffisant. C'est ainsi que les Grecs se rendent d'emblée à l'évidence du Tout, sans se perdre dans le détail des "choses", leur laborieuse nomenclature, leurs rapports incertains et aléatoires. Le regard s'élève d'un coup vers l'Immense, qui comprend autant les choses d'en bas (Tatare, Hadès) que les choses médianes (Terre, Océan, vent et marées) et les choses d'en haut (Olympe, Soleil et astres innombrables). Le Tout c'est l'Illimité, et dès lors n'est-il pas évident que les univers soient eux aussi innombrables dans l'immensité ?

Mais l'essentiel, et le plus difficile pour nous, est de bien saisir que cette vision de l'Apeiron ne saurait s'accoquiner d'aucune confusion avec les religions transcendantes. Aucune séparation entre l'Apeiron et les choses. Les choses en naissent, selon notre citation, et y retournent. Mais c'est là piège du langage. Elles ne cessent jamais d'en émaner, ni d'y retourner "selon l'ordre du temps". Mais tous ces mouvements sont contemporains, jamais distincts si ce n'est sous l'angle du temps, mais que signifie le temps dans une vision de l'éternité? Elles naissent et meurent éternellement, même si pour un regard particulier elles naissent à tel moment du temps (la fleur au printemps) et qu'elles meurent à tel autre (la fleur en automne). C'est là une donnée empirique. Elle n'est pas fausse, sous l'angle précis d'une observation temporelle, comme chose parmi les choses, ou chose pour une autre chose. Mais dans le mouvement éternel des choses comment distinguer un point de départ d'un point d'arrivée? Les choses sont à la fois soumises au mouvement temporel, en tant que choses mortelles et finies, et strictement intemporelles comme manifestations de l'Apeiron. On peut dire : dans le Tout infini des choses finies, qui se rendent mutuellement "peine et réparation", c'est à dire qui luttent entre elles pour "expier" à la fin l'"injustice " de leur existence et de leur combat. Mais on peut dire aussi : le Tout n'est en rien séparable des choses, les choses dans leur mouvement incessant ne sont pas séparées ni distinctes de l'Apeiron qui est à la fois les choses, leur fondement, leur somme, et leur mouvement.

L'Apeiron c'est les choses, sans être les choses

Les choses sont l'Apeiron sans être l'Apeiron.

On le voit : ce n'est pas un concept. C'est une intuition, c'est à dire un "voir" (Intueri : voir en latin, d'où intellectus, vision de l'esprit).

D'où le paradoxe entre la vision métaphysique et la démarche éthique. La métaphysique c'est la saisie intuitive du Tout. "Je parlerai du Tout" disait Démocrite. Epicure pense le Tout comme l'infini des atomes et l'infini du vide. Spinoza dira que la Substance c'est le Tout. Le Tout ne s'oppose à rien, car il ne serait plus le Tout. Donc il contient tout, il est tout, sans origine et sans fin. Cela l'esprit peut le penser, encore qu'il y faille un effort spéculatif qui n'est pas ordinaire. C'est la jouissance propre de la contemplation, qui peut nous élever au delà de bien des misères. Mais dans l'existence concrète, dans la démarche éthique, une stricte démarcation s'impose : l'Apeiron est inaccessible, inconnaissable, sans profit pour quiconque, grâce et gratitude divines, sans aucun rapport avec notre désir. De cela nous sommes à jamais dépossédés, et ce serait délire (mania) que de s'en réclamer à titre privé pour une action quelconque dans le monde. Ce serait office de gourou, et officine du tyran. L'éthique tombe sous le couperet de la PERAS, limite impérative, règle d'or et de plomb, nécessité vitale, ordre et désordre politique : les choses, ta panta, ou pour parler pyrrhonien : ta pragmata, les affaires, les processus, les phénomènes, "ce qui nous apparaît" et dont la nature intrinsèque nous est à jamais inaccessible.

Nous nous débattons dans la sphère des pragmata. Affaire, souci, nécessité vitale, désir et obstacle, volonté et passion, projet et déjet. De cela nous ne sortons pas. Les dieux eux-mêmes, ces sublimes et terrifiantes forces de la nature que nous avons personnalisées et idolâtrées, ne nous seront de nul secours. L'éthique vraie, la sincère, la toute innocente et toute gracieuse commence dans ce non-savoir qui s'assume sous la clarté du ciel.

GUY KARL

et ma propre page sur Anaximandre

http://les4saisons.over-blog.com/page-4418836.html

JCG

Tombé hors du temps/David Grossman

Ce blog a 10 ans : 27/10/2014

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Bonjour grossel,

Votre blog fête ses 10 ans aujourd’hui !

Toute l'équipe d'OverBlog est heureuse de souhaiter un joyeux anniversaire à votre blog

360682 visiteurs uniques

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2,15 vues/visite

pour mon passage à la station de pompage N°74 des os usés sur la berge du temps, c'était le 25 octobre, des chiffres et encore des chiffres

298 articles publiés

le ménage deux fois par an pour éliminer l'écume

des articles anniversaires restant exposés quinze jours puis retournant en brouillons pour un an

dans les pages, ce qui me paraît tenir la route du temps

des articles de moins en moins politiques

plus de notes de lectures, des essais

ce n'est pas non plus un blog spécialisé, littéraire ou philosophique

éclectique selon l'humeur, l'intérêt

JCG

L'Éternité d'une seconde Bleu Giotto/J.C.Grosse

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après 13 années de quel travail, L'Éternité d'une seconde Bleu Giotto est sorti, 4 ans jour pour jour après une entrée à l'hôpital où l'épousée restera jusqu'au 29 novembre 2010, date d'achevé d'imprimer de son livre d'éternité, l'achevé d'imprimer du livre étant daté du 29 novembre 2014
13 années à se coltiner avec événements douloureux et écriture de la douleur (et de l'apaisement):
le temps là est essentiel comme dit un lieu commun, le temps qui guérirait toutes les blessures (guérit vraiment ?)
encore faut-il qu'il passe et fasse son oeuvre,
qu'on fasse nous aussi un certain travail (de deuil dit-on, formule inadéquate d'après moi),
que des choses remontent, se dévoilent
à les chercher, on ne les trouve pas;
classique: la vérité qui crève les yeux et qu'on ne voit pas
elles s'offrent éventuellement un jour, un matin, surprise d'un réveil (par exemple, la dernière réplique, dimanche 12 octobre ou la scène des évidences du Temps, vendredi 14 février)
tirage (200 exemplaires)
il n'y aura pas de retirage,
aucun service de presse
il ne sera pas déclaré à Electre pour Livres hebdo,
il ira à la BN en dépôt légal à 1 exemplaire
il ne sera présenté à aucune fête ou foire ou salon du livre
le livre ne sera pas mis en librairie
je n'aime pas libraires (et leurs coups de coeur), bibliothécaires et tout le système autour de quelques livres
la profusion éditoriale m'étouffe, je ne sais plus choisir
tant pis pour mon diffuseur, Soleils
le livre vivra sa courte vie de livre, sans béquilles
il ne vous reste qu'à souscrire éventuellement

L’Éternité d’une seconde

Bleu Giotto

de Jean-Claude Grosse

La jeune fille de 16 ans veut arriver là où ça prendra fin avec des bras remplis de riens ; nous sommes en 1964.

Le vieil homme de 88 ans veut arriver là où ça prendra fin avec des bras remplis de rien ; nous sommes en 2028.

La petite fille remarque : pépé, mamie a écrit riens avec s ; pourquoi t'enlèves l's ?

Que s'est-il passé durant ces 64 ans ?

Deux drames et le dévoilement des évidences du temps :

- le Temps du Tout, infini, emboîte et engendre notre temps, fini; chaque seconde d'une vie passe, nevermore, mais il sera toujours vrai que cette seconde a eu lieu, forever. Le temps passe et rien ne s’efface. Que devient l’ineffaçable passé ? Y a-t-il un monde de nos vérités éternelles ?

- nos façons de vivre les événements de nos vies semblent marquées par nos commencements (elle, écrit dans son cahier d'amour des effluves de caresses), nos étonnements (lui, compte les secondes de leur histoire), ce qui nous arrive, nous attend, par hasard, par choix, ce qui nous atteint, nous blesse au plus intime du corps, de l'âme, quand tout bascule, au Baïkal, à Cuba, si loin de chez nous.

Des rivages d’appartenances aux ravages des différences, deux histoires d’éternité, d’une seconde Bleu Giotto.

L'Éternité d'une seconde Bleu Giotto (les évidences du temps)

Personnages : 3 H, 2 F, de 16 à 88 ans, voix off

Thème : le deuil et le temps

Genre : drame et apaisement

1964, une jeune fille et un jeune homme se retrouvent dans une isba au Baïkal pour deux saisons de cavale en cabane. Promesse : s'épouser au jour le jour jusqu'à ce que ça fasse toujours.

37 ans après, en 2001, une mère et un père apprennent 8 jours après (le blanc du temps), la disparition brutale de leur fils dans un accident de la route à Cuba, au lieu-dit le Triangle de la mort. Le Répondeur n'a pas répondu à leurs questions. Il n'y a pas de nom pour désigner les parents perdant un enfant. Ce sont des sans-noms. Le père ne veut pas que ce soit des sans-voix. Il écrit un drame sans fin. La mère n'arrive pas à quitter le lieu de l'accident et à oublier l'instant-camion (l'abolition du temps) surgissant en plein instant-navire. Elle veut voir la réalité de l'accident en face, veut abolir le temps, remplir le blanc du temps. Le père fait ce qu'il peut pour accompagner la mère à exprimer son vécu

Avant sa disparition foudroyante, au retour d'un dernier voyage à Cuba, l'épousée prend conscience des évidences du temps.

En 2028, âgé de 88 ans, l'épousé préparant son dernier voyage au Baïkal, médite : sur l'écoulement du temps en écoutant le ta dak ta dak des roues du train sur les rails, sur l'éternité d'une seconde Bleu Giotto.

Livre en souscription :

12 € frais de port compris par chèque à l'ordre des Cahiers de l'Égaré, 669 route du Colombier 83200 Le Revest

48 pages, 13,5 X 20,5 ; ISBN : 978-2-35502-050-6

Le vieil homme (en 2028) :

C'est au Baïkal que je me sens au plus près des évidences du Temps.

Le contraire de ce que j'ai pensé trop longtemps,

non

la mort de tout,

le refroidissement éternel, l'oubli perpétuel,

le Jamais Plus, Plus jamais, nevermore

mais

tout coule, chaque seconde passe,

se métamorphosant en éternité

d'une seconde Bleu Giotto, forever

Ce texte est à lire à voix haute, à 2, sans préparation, durée : 1 H maxi

Sous le titre Tourmente à Cuba, ce texte (sans le début et la fin, qui se déroulent au Baïkal) a été retenu par le comité de lecture des EAT pour le répertoire des Écrivains associés du théâtre en avril 2014.

Des lectures en ont été faites à Lyon, Le Revest-les-Eaux (4), Paris, Avignon, Saorge (le 19 octobre). Une lecture est programmée à Forges-les-Eaux. D'autres lectures seront organisées.

L'Éternité d'une seconde Bleu Giotto/J.C.Grosse
L'Éternité d'une seconde Bleu Giotto/J.C.Grosse
L'Éternité d'une seconde Bleu Giotto/J.C.Grosse
L'Éternité d'une seconde Bleu Giotto/J.C.Grosse

Épicure en Corrèze/Marcel Conche/L'extravagance/Salah Stétié

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Oublier, se souvenir

Épicure en Corrèze de Marcel Conche

L'extravagance de Salah Stétié

L'Éternité d'une seconde Bleu Giotto

Par rapport à ce que nous vivons, que nous soyons directement concernés ou que nous soyons seulement témoins, nous avons deux attitudes possibles, oublier, nous souvenir. Les philosophes ont médité sur le temps, sur la mémoire, sur l'oubli. Il y a ceux qui prônent l'oubli, ceux qui prônent le souvenir.

Les gens ordinaires, de la moyenne région selon l'expression de Montaigne qui s'adressait aux gens de son temps, pas aux élites dont il se méfiait car il se considérait comme un quidam comme un autre, se comportent souvent en oublieux, certains ont le culte de la mémoire, ils se font mémorialistes.

Les sociétés elles, ont des rapports complexes et variées avec la mémoire. L'Histoire est souvent une reconstruction selon les besoins idéologiques du moment. Comment regardons-nous 14-18 par rapport à ceux qui ont vécu, raconté ? En 100 ans, c'est combien de 14-18 différentes qui nous ont été racontées ? Une chose est constatable, la généralisation des commémorations dans nos pays. Servent-elles à ne pas oublier ? à nous éduquer : plus jamais ça ? à tirer les leçons de l'Histoire ? quelle blague ! je me demande si les abondantes commémorations ne masquent pas l'impuissance créatrice de nos vieilles sociétés fatiguées. Bien sûr, il y a comme toujours le business de la mémoire, on escompte des retombées touristiques, économiques sur les lieux de mémoire, les champs de bataille, les musées, les sites rénovés. Le patrimoine est un patrimoine exploitable et exploité. Autant dire que je me détourne de toutes ces ferveurs et ces migrations touristiques.

Marcel Conche n'a pas spécialement d'intérêt pour le travail de mémoire. Ce n'est pas l'objet de sa vocation de philosophe. S'il a écrit Ma vie antérieure, c'est à la demande d'une revue corrézienne. Ce livre reprend les 4 articles écrits pour cette revue. Marcel Conche ayant eu droit à un chapitre dans un livre sur Les Corréziens de Denis Tillinac datant de 1991, sans doute la revue a-t-elle voulu aller plus loin.
Ce livre commence par l'évocation très belle de la fin de vie de sa femme dans Traces de mémoire. Marie-Thérèse Tronchon qui fut son professeur de lettres classiques en 1°, de quinze ans son aînée, est partie début décembre 1997. Il distingue la fin, le telos comme accomplissement, plénitude et la fin, le teleutè comme terme. Quand on atteint le telos, on vit pleinement et Marie-Thérèse a atteint son telos dès 1947. Quand on atteint le teleutè, on cesse de vivre. Pour Marie-Thérèse ce furent donc 50 ans de plénitude parce que épouse devenue mère, accomplissement d'une femme selon Marcel Conche. Suivent des chapitres portant des noms de lieux : Mon enfance à Altillac, Mon adolescence à Beaulieu, Ma jeunesse à Tulle, Ma jeunesse à Paris. Fils de paysan, prenant part aux travaux des champs, Marcel Conche a une excellente mémoire des noms, des lieux, des dates, des mots de son pays. Il évoque de façon claire, simple, conditions de vie, heurs et malheurs de cette période. Ses conditions initiales d'entrée dans la vie ne sont pas propices à un accomplissement de philosophe. Fils de paysan, il n'apprend guère au cours complémentaire, il rate un concours d'entrée à l'école normale d'instituteurs, il ignore l'existence des lycées. Le hasard le fera rentrer au lycée de Tulle comme élève-maître. Acharné à combler son retard, il sera un excellent élève. Il réussira à devenir lui-même, à réaliser sa vocation de philosophe à force de volonté, de travail. Il se sera lui-même libéré des limitations d'origine, confirmant sa conception de la liberté absolue de chacun, notre pouvoir de dire NON. Une anecdote m'a particulièrement intéressé dans ce livre. Marcel Conche donne à lire la fin de sa dissertation sur un sujet donné par sa professeur : L'attachement aux objets inanimés. Ses causes. Ses manifestations. Elle-même avait eu à traiter ce sujet comme élève. Elle avait obtenu 16, elle lui mit un 18. Deux univers, deux écritures. Une élève issue d'un milieu cultivé, sachant faire usage de références et citations. Un élève issu d'un milieu ignorant le livre mais connaisseur de la nature : « La nature paraît répondre si bien aux appels de notre cœur et s'accorder avec nos tristesses et nos joies !... L'homme, c'est bien lui l'agent puissant du monde qui va au sein de toutes choses leur insuffler la vie. (p.18-19) » Aujourd'hui, le philosophe écrirait autre chose. Devant les flots changeants de la Dordogne, dérangeant parfois l'ordre des choses par inondation brutale, il rapetisserait le pouvoir de l'homme à l'image en plus limité de celui de la nature quand il est au meilleur de lui-même, poète, créateur, il mettrait en avant l'infini pouvoir créateur (et destructeur) de la Nature, agissant en aveugle, au hasard, sans se soucier de raison, de sens mais produisant de l'harmonie avec l'unité des contraires, vie-mort, fugitivité-éternité, fini-infini.

Dans son second livre consacré à sa vie, Ma vie, un amour sous l'occupation (1922-1947), on retrouve 7 chapitres avec des noms de lieux : Le Rodal (3 chapitres), La Maisonneuve, Tulle, Limoges, Paris. Dans ce livre, Marie-Thérèse Tronchon est fortement présente au travers de ses lettres à Marcel. La professeur Marie-Thérèse Tronchon sera la correspondante de l'élève Marcel Conche à Tulle. C'est ce qui se passait quand on était pensionnaire, interne pour un trimestre. Si on voulait échapper aux promenades collectives du dimanche, il fallait avoir un correspondant vous accueillant chez lui, le dimanche. J'ai connu la même expérience que Marcel à Tulle, lui au lycée Edmond Perrier en 1942, moi aux enfants de troupe (de 1954 à 1957, dans les casernes Lovy, Marbot, Les Récollets ; l'EMPT a été dissoute en 1967 ; Yves Gibeau a écrit un livre fort sur sa vie d'enfant de troupe à Tulle, Allons z'enfants - 1952- dont Yves Boisset a tiré un film en 1981, vu à Toulon avec mes parents, scandalisés par ce qu'ils découvraient, eux qui m'avaient incité à passer le concours d'entrée à l'EMPT).

Son 3° livre de souvenirs, tout frais sorti des presses, est une initiative de l'éditeur Stock, Épicure en Corrèze. C'est la vie entière de Marcel Conche qui est parcourue avec une grande liberté de ton, quelques termes inattendus sous sa plume (sans doute dus au fait que ce livre a été précédé d'entretiens avec une collaboratrice-journaliste de l'éditeur), une certaine légèreté et sa profondeur de sage. On retrouve les mêmes noms, les mêmes lieux, les mêmes anecdotes mais éclairés différemment, par la sagesse « épicurienne » de l'homme d'Altillac.

En quoi consiste cette sagesse ? À devenir soi, en usant de sa raison et de sa volonté pour se libérer des désirs vains de pouvoir, de richesse, de gloire et même d'amour charnel, pour ne satisfaire que des désirs simples, naturels, et l'essentiel désir de philosopher qui l'a saisi très tôt quand il a voulu aller voir à 6 ans si le monde continuait après le tournant de la route. Marcel Conche ne cède pas aux sirènes de la consommation, du tourisme, des voyages, de la « culture » spectaculaire, de la mode (des effets de mode, y compris intellectuelles). Il juge par lui-même en argumentant, contre-argumentant, ce qui le conduit à des positions singulières, les siennes, et singulières par rapport à l'esprit du temps (sur l'avortement, sur la guerre en Irak, les interventions des pays démocratiques en Libye, en Syrie, sur le suicide en fin de vie, sur la grandeur ou petitesse des hommes politiques).

Marcel Conche, l'Épicure d'Altillac, n'a pas de disciple, c'est un solitaire aimant la discussion épisodique avec des amis, (ses amis les plus fidèles sont des philosophes grecs : Héraclite, Parménide, Anaximandre, Épicure, Lucrèce, et Pascal, Montaigne ; il a dû renoncer à écrire sur Empédocle), aimant la nature, les paysages de Corrèze, les flots toujours renouvelés de la Dordogne, les figuiers qu'il a plantés et arrose, les chats errants qu'il nourrit sans s'attacher à eux. Sa maison d'enfance n'est plus celle qu'il a connue, elle a été transformée, il s'en accommode. Marcel Conche est un insoumis qui réussit à avoir avec son œuvre une audience et sans doute une influence ne dépendant pas des médias. C'est (sauf l'épisode Émilie qu'on peut aussi appeler l'intermède corse) le bouche à oreille qui fait la notoriété de ce philosophe hors-normes, hors-modes.

Avec les Mémoires de Salah Stétié, L'extravagance, parue chez Robert Laffont, on a affaire à une toute autre démarche. Plus de 600 pages de Mémoires, n'est-ce pas une tentative vaine ? Je ne doute pas que ce livre trouvera ses lecteurs, qu'il ne décevra pas ceux qui le liront. J'ai hésité à me lancer dans ce marathon de lecture : c'est plusieurs semaines de temps or le temps m'est compté comme à chacun. Ai-je le désir de donner du temps à un égo qui s'étale ? Mon amitié pour lui et la connaissance que j'ai de son œuvre et de sa culture ont levé mes hésitations. Je me suis embarqué dans cette traversée de 50 ans qui précède ma propre traversée de onze années.

Salah Stétié est issu d'un milieu cultivé du Liban. Il a accès facilement aux livres, fait des études de qualité. Le Liban et Beyrouth attirent l'élite intellectuelle française. Stétié en profite, va écouter les conférenciers, n'hésite pas à intervenir, souvent avec un humour peu apprécié de ses victimes.

Il a une écriture travaillée, avec des phrases souvent longues, descriptives. Les épithètes sont nombreuses ainsi que les images. Références et citations montrent bien la culture immense de l'homme, capable de dire des poèmes pendant une heure (il l'a fait chez moi au Revest vers 1990), homme des deux rives donc de deux civilisations ou cultures, l'orientale et l'occidentale. Indéniablement arabe, indéniablement musulman, sévère sur les dérives fanatiques et intégristes, il est aussi un moderne, soucieux de toutes les révolutions esthétiques du XX° siècle.

Poète, il est aussi un penseur de l'écriture poétique. Son récit d'enfance et d'adolescence nous montre comment certaines images, certaines métaphores obsédantes lui sont venues, très tôt, comment elles l'ont travaillé avant même qu'il ne les travaille. Ce récit d'enfance à Barouk donne des paysages montagnards du pays du cèdre, une image de paradis et pour un enfant, cela doit l'être. Mais les drames atteignent aussi les enfants et la disparition d'une tante et de son fils dans un incendie (lui a un an au moment du drame) a durablement marqué l'homme et le poète. J'en frémis rien qu'à l'évoquer.

Ur en poésie, Les porteurs de feu, La Unième nuit sont de magnifiques essais que tout amateur de poésie se devrait d'avoir lu pour sa propre écriture ou pour l'évaluation des poètes qui ont sa prédilection. L'air du temps fait des réputations et le temps passant, l'aura s'estompe, le souvenir s'efface, la grandeur décline et le poète encensé se trouve ravalé au ras des pavés. Cela m'incite depuis longtemps à beaucoup d'humilité, à être économe en écritures rendues publiques. Salah Stétié nous révèle ainsi comment son admiration pour Liberté d'Éluard s'est transformée en incompréhension devant cette erreur de jugement. Salah Stétié, homme des mots, arpenteur de villes et de mythes est sensible à l'effervescence intellectuelle. Jeune homme faisant ses études à Paris, c'est-à-dire en dilettante disponible comme cela se pratiquait (ce qui n'est plus le cas aujourd'hui ; tout est extrêmement encadré, sans doute pour contrôler toute tentative de révolte, toute remise en cause du système) et malgré une certaine timidité, il fréquente assidument petits théâtres légendaires (La Huchette) et librairies mythiques (Adrienne Monnier, Sylvia Beach). Stétié a cette capacité très jeune à oser, à chercher la rencontre. Il en fera de très nombreuses, de très belles. Des amitiés durables en naîtront. J'aime bien ce type d'entreprenant. Je l'ai moi-même fait en écrivant à des gens que j'aimais, Odysseus Elytis, Lorand Gaspar, Le Clézio, Beckett, Lawrence Durrell, Emmanuelle Arsan, Marcel Conche, Salah lui-même. J'ai ainsi été invité à Rabat et à La Haye dans deux de ses postes d'ambassadeur et ces séjours ont été productifs : N° 13 de la revue Aporie, Salah Stétié et la Méditerranée noire, édition de Lumière sur lumière ou l'Islam créateur, Le Voyage d'Alep.

Je reprendrai cette note, ma lecture achevée.

En attendant, je veux continuer à me questionner sur oubli et souvenir, en lien avec L'Éternité d'une seconde Bleu Giotto.

Un de mes thèmes est :

quand quelque chose a lieu, est dit, pensé, vécu, senti ... (tout ce qui est humain quoi), ça prend un peu de temps, un peu du temps infini, éternel sans lequel notre temps n'existerait pas, notre temps fini de vie dont on ignore la durée

(pour que mes 74 ans comptés existent à mon passage à la station des os usés sur la berge du temps, il faut que préexiste le temps de Tout Le Temps, le Temps du Tout)

donc un événement a lieu dans notre temps de vie

à partir du moment où il a eu lieu, rien ne peut faire qu'il n'ait pas eu lieu

donc il sera toujours vrai, éternellement, que j'ai écrit ce qui précède ce 11 novembre à 16 H

que devient cette vérité ?

c'est indépendant de moi, de mon souvenir, de mon oubli

et ça commence à ma naissance et ça continue jusqu'à ma mort

j'écris un livre, pas écrit d'avance, pas utile pour un jugement dernier

où est, où va ce livre éternel de la vie de chaque vivant mort ?

le passé passe-t-il et s'efface-t-il ?

s'il est ineffaçable comme vérité éternellement vraie de ce qui a eu lieu

(puisque rien ne peut faire que ce qui a eu lieu n'ait pas eu lieu),

que devient-il, où va-t-il ?

si elle est inutilisable une fois oubliée par les vivants et survivants, puisque les hommes se souviennent ou oublient et qu'aucune trace humaine n'est éternelle

à quoi sert cette mémoire non humaine (naturelle, récupérée par la Nature, restituée à la Nature) de nos vérités éternelles ? (je crois qu'avec cette idée, je vais sortir de l'impasse, la mort comme retour à la Nature)

questions pertinentes ou pas ?

en tout cas, elles me questionnent depuis plusieurs mois,

...

L’épousée – il y a des choses à penser sur ce qui se passe quand on passe, qu’est-ce que nous devenons

L’épousé – les Répondeurs religieux ont des réponses

L’épousée – réponses toutes prêtes, pour tous, je veux qu’on cherche nous-mêmes

l'écriture comme maturation ou plutôt n'étant possible, pour moi, qu'en lien avec la vie, avec ma maturation

sur 13 ans d'écriture de L'Éternité d'une seconde Bleu Giotto, une panne de 8 ans (2002-2010), une révélation en août 2010 au Baïkal, une autre à l'annonce en septembre 2013 du Festival de théâtre francophone à Cuba, une autre le jour anniversaire de l'épousée, le 14 février 2014 et la dernière réplique du texte au réveil, le dimanche 12 octobre 2014

13 ans pour un récit de 42 pages, ça me va.

Jean-Claude Grosse

Épicure en Corrèze/Marcel Conche/L'extravagance/Salah Stétié
Épicure en Corrèze/Marcel Conche/L'extravagance/Salah Stétié
Épicure en Corrèze/Marcel Conche/L'extravagance/Salah Stétié

Abdelwahab Meddeb par Salah Stétié

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AVANCER DANS LA NUIT DU MONDE PAR À-COUPS DE POÉSIE


Rarement esprit fut aussi complexe que celui-là, aussi chargé de signes contradictoires que l'effort de Abdel-Wahab toute sa vie fut de tenter de réduire à l'unité, unité qui ne fût pas une simplification autoritaire de la contradiction existentielle, du combat spirituel dans sa brutalité antithétique, mais, à l'inverse, une expansion du lieu d'unité appelé à plus et à mieux contenir. Je n'en veux pour preuve que ce fait d'évidence : ayant créé et géré sur plusieurs années une admirable revue thématique, à projection philosophique et littéraire, à vocation encyclopédique, quel titre choisit Abdel-Wahab pour sa publication qui fit date ? Dédale, le labyrinthe sans fin où s'engage, chaque fois que cela est nécessaire (c'est-à-dire tous les jours), l'homme de pensée objet de violentes émotions. Et c'est par cette formule que je définis le beau, l'exigeant poète qu'il fut, qu'essentiellement il fut. Même si, dans sa jeunesse, il fut aussi éditeur, qu'il fut l'un des premiers, aux éditions Sinbad, créées par Pierre Bernard, dont il fut le collaborateur immédiat, à signaler l'importance de l'Égyptien Meguib Mahfouz, futur prix Nobel de littérature, du Syro-Libanais Adonis et du Soudanais Et-Tayyeb Faleh.
Ce poète, Abdel-Wahab Meddeb, a mis au plus haut de sa quête le besoin, l'exigence de comprendre. De tenir intellectuellement dans son laboratoire analytique, à portée de toute idée en quelque sorte, le pourquoi et le comment des choses : choses d'hier, choses de demain et, principalement, choses d'aujourd'hui. Pourquoi celles-ci sont-elles ainsi faites et quelles sont les pulsions profondes auxquelles elles doivent ce qu'elle sont et qui leur donnent leur type d'architecture instinctive ou réfléchie ? J'aimais beaucoup l'œil bleu de Abdel-Wahab et cette flamme aiguë qui l'animait. Ce regard qui se posait nettement sur les hommes et les choses dont il sollicitait qu'ils lui répondent avec la même netteté, retiré le brouillard qui le plus souvent mélange les genres et complique l'approche. Sous le scalpel de l'intelligence de ce Tunisien nourri de toute la haute culture française, il y avait souvent l'éclair d'acier valéryen : comme l'auteur de Monsieur Teste, il ne souhaitait pas se payer de mots. Mais, l'amande dépouillée de sa gangue, la fleur de l'amandier odorait la pensée et la phrase savait chanter mezza voce.

Aimait-il l'Islam ? On lui a beaucoup reproché, du côté musulman où il ne comptait pas que des amis – loin de là – le titre de son premier livre sur la détérioration de la situation d'un certain Islam d'après le 11 septembre 2001, pro-Ben Laden et fondamentalement anti-occidental : La Maladie d'Islam. Un de ses éditeurs français alla même jusqu'à rompre avec lui brutalement. Et pourtant, dans la perspective retournée, combien ce titre nous paraît aujourd'hui prophétique ! Abdel-Wahab, fils d'un uléma, grand lettré de Tunis et descendant d'une dynastie de foukaha'(s), savait de quoi il parlait. Il préférait à tout la civilisation de l'Islam dont il connaissait tous les phares rayonnant mentalement, tous les grands sites méditerranéens, les textes mi-obscurs mi- lumineux, les cycles mobiles et les monuments immobiles. Tout dans cet Islam-là, auquel il avait voué son esprit et son cœur, l'interpellait, lui donnait racine et raison d'être, dans une Europe qu'il pratiquait également et dont la civilisation et la culture en France et en Allemagne notamment, mais aussi en Italie et en Espagne (ah! l'Andalousie d'Ibn Arabi de Murcie !), faisaient partie de son patrimoine familier. Il pouvait parler (improviser) à propos de Berlin comme à propos de Tunis, traçant le plus vaste paysage et relevant au passage le moindre détail. Mais son domaine de prédilection était, je l'ai dit, celui des idées : il connaissait tout, notamment des arcatures spirituelles de l'abrahamisme partagées entre juifs, chrétiens et musulmans, en particulier tout des mystiques liées à cet abrahamisme dont très spécifiquement la mystique soufie. Il attaquait violemment le primarisme, celui des Wahabites, celui des intégristes, celui des djihadistes, toutes tendances étrangères à l'élan du noyau intérieur. Lui, le rationaliste métissé du spiritualisme le plus instinctif luttait à visage découvert contre ces terribles régressions dont sa religion natale était atteinte du fait d'imbéciles pétris d'inculture revendiquée, du fait aussi de dirigeants fossilisés. Et, d'éditorial en éditorial, de livre en livre, ainsi que dans son émission hebdomadaire “Culture d'Islam” sur France-Culture, il le rappelait à tout propos, poussant son analyse parfois, souvent même, plus loin que ne le faisait son invité pourtant spécialiste du problème évoqué à l'antenne.
Abdel-Wahab Meddeb, écrivain et poète, laisse derrière lui en langue française (cette langue qu'il dominait aussi bien que l'arabe) deux romans qu'on connaît: Talismano et Phantasia, et six recueils de poésie – à côté d'une œuvre d'érudition de haute qualité écrite dans la solitude ou dans le cadre d'un dialogue avec une intelligence à la mesure de la sienne, méthode d'approche par lui souvent privilégiée. J'appréciais infiniment chez lui cette façon qu'il avait de sortir de la nuit de l'Histoire par le haut, là où l'air respirable est une promesse d'aube immatérielle. Son dernier recueil, Portrait du poète en soufi, publié quelques jours avant sa mort, est dû à la volonté farouche de son ami Michel Deguy que le livre existât avant la disparition du poète quand celle-ci terriblement se profilait. Je cite cette ultime vision, rêverie de Abdel-Wahab sur un univers où enfin la paix générale dominerait :
[...] à l'ombre du préau errent les sectateurs de mille obédiences ils pulvérisent leur croyance en restant au devant d'eux-mêmes en-deçà et au-delà du dogme auquel les uns et les autres acquiescent vagabonds sublimes soucieux de leur présence au monde
le yogi côtoie le soufi le pandit le 'alim le sunnite le shiite le barbu l'illuminé le viril l'efféminé l'extatique le sobre le chagrin de la passion habite l'un l'Intellect rayonne dans l'autre celui-là cajole dans la main une colombe il lui chuchote ses confidences encore un autre qui se confond avec l'arbre qui lui tient le dos c'est un sage qui bénit tout passant inconnu enfants et adultes vieux ou jeunes de l'un et l'autre sexe tous progressent vers le foyer de sainteté Aya ton ombre monte avec moi les nombreuses marches [
...]
Notre ami très cher est parti, montant les nombreuses marches. Derrière lui il laisse un vide immense. Un immense plein.
Salah Stétié

(à la séance commémorative du 26 novembre 2014 à l'Institut du Monde Arabe)

L'Extravagance/Mémoires de Salah Stétié

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Avec les Mémoires de Salah Stétié, L'extravagance, parue chez Robert Laffont, on a affaire à une démarche de mémorialiste, assez peu soucieux de chronologie, de précision. Au gré des jours, des humeurs viennent les écritures plurielles, souvent belles, poétiques, émouvantes mais aussi caustiques, cassantes, sans complaisance sur des souvenirs s'entraînant plus que s'enchaînant par association. Plus de 600 pages de Mémoires, n'est-ce pas une tentative vaine ? J'ai hésité à me lancer dans ce marathon de lecture : c'est plusieurs semaines de temps or le temps m'est compté comme à chacun. Mon amitié pour lui et la connaissance que j'ai de son œuvre et de sa culture ont levé mes hésitations. Je me suis embarqué dans cette traversée de 50 ans qui précède ma propre traversée de onze années.

Salah Stétié est issu d'un milieu cultivé du Liban. Il a accès facilement aux livres, fait des études de qualité. Le Liban et Beyrouth attirent l'élite intellectuelle française. Stétié en profite, va écouter les conférenciers, n'hésite pas à intervenir, souvent avec un humour peu apprécié de ses victimes.

Il a une écriture travaillée, avec des phrases souvent longues, descriptives. Les épithètes sont nombreuses ainsi que les images. Références et citations montrent bien la culture immense de l'homme, capable de dire des poèmes pendant une heure (il l'a fait chez moi au Revest vers 1990, en particulier Jodelle, quelle modernité !), culture d'Occident acquise en partie pendant son long séjour en sanatorium où il a lu jour et nuit, homme des deux rives, donc de deux civilisations et cultures, l'orientale et l'occidentale. Indéniablement arabe, indéniablement musulman, sévère sur les dérives fanatiques et intégristes, il est aussi un moderne, soucieux de toutes les révolutions esthétiques du XX° siècle et en partie des révolutions scientifiques et techniques.

Poète, il est aussi un penseur de l'écriture poétique. Son récit d'enfance et d'adolescence nous montre comment certaines images, certaines métaphores obsédantes (selon Charles Mauron) lui sont venues, très tôt, comment elles l'ont travaillé avant même qu'il ne les travaille. Ce récit d'enfance à Barouk donne des paysages montagnards du pays du cèdre, une image de paradis et pour un enfant, cela doit l'être. Mais les drames atteignent aussi les enfants et la disparition d'une tante et de son fils dans un incendie (lui a un an au moment du drame) a durablement marqué l'homme et le poète. J'en frémis rien qu'à l'évoquer.

Ur en poésie, Les porteurs de feu, La Unième nuit sont de magnifiques essais que tout amateur de poésie se devrait d'avoir lu pour sa propre écriture ou pour l'évaluation des poètes qui ont sa prédilection. L'air du temps fait des réputations et le temps passant, l'aura s'estompe, le souvenir s'efface, la grandeur décline et le poète encensé se trouve ravalé au ras des pavés. Cela m'incite depuis longtemps à beaucoup d'humilité, à être économe en écritures rendues publiques. Salah Stétié nous révèle ainsi comment son admiration pour Liberté d'Éluard s'est transformée en incompréhension devant cette erreur de jugement. Comme lui, j'ai connu, je connais mes désaffections pour, allez, je le dis, Saint-John Perse, René Char et beaucoup d'autres. Aujourd'hui, ce sont seulement quelques fragments de poèmes pour une image, une association qui me nourrissent.

Salah Stétié, homme des mots, arpenteur de villes et de mythes est sensible à l'effervescence intellectuelle. Jeune homme faisant ses études à Paris, c'est-à-dire en dilettante disponible comme cela se pratiquait (ce qui n'est plus le cas aujourd'hui ; tout est extrêmement encadré, sans doute pour contrôler toute tentative de révolte, toute remise en cause du système) et malgré une certaine timidité, il fréquente assidument petits théâtres légendaires (La Huchette) et librairies mythiques (Adrienne Monnier, Sylvia Beach). Stétié a cette capacité très jeune à oser, à chercher la rencontre. Il en fera de très nombreuses, de très belles. Des amitiés durables en naîtront. J'aime bien ce type d'entreprenant. Je l'ai moi-même fait en écrivant à des gens que j'aimais, Odysseus Elytis, Lorand Gaspar, Le Clézio, Beckett, Lawrence Durrell, Emmanuelle Arsan, Marcel Conche, Salah lui-même. J'ai ainsi été invité à Rabat et à La Haye dans deux de ses postes d'ambassadeur et ces séjours ont été productifs : N° 13 de la revue Aporie, Salah Stétié et la Méditerranée noire, édition de Lumière sur lumière ou l'Islam créateur, Le Voyage d'Alep.

Mais cet entreprenant, ce reliant, ce passeur revient aujourd'hui de tout cela. Peu d'amis, peu de souvenirs heureux, beaucoup de souffrances, beaucoup de déceptions, de désillusions, d'amertume. Le monde lui fait mal. Écartelé entre ses idéaux humanistes et l'impuissance à agir, à changer les choses au proche et moyen-orient, au Liban, son pays tant aimé, si meurtri, détruit et s'autodétruisant. L'ambassadeur, le diplomate ont vécu des moments difficiles dans des situations où il était mal aisé d'y voir clair, d'avoir des repères. J'avoue que tout ce que raconte Salah Stétié sur les conflits israélo-arabes, sur les Palestiniens, sur les dictatures en Irak, en Syrie, au Yémen, en Égypte, en Lybie, sur les révolutions du printemps arabe est passionnant, consternant, effrayant. Quasiment au coeur de ce monde pas encore en fusion mais ça viendra, faisons confiance aux barbus des 3 camps (les israéliens, ultra-orthodoxes, les sunnites, salafistes et autres des royaumes et émirats, les chiites d'Iran et d'ailleurs, arme atomique comprise, j'en suis persuadé, les références bibliques et autres rendant possible par métaphore cet usage du feu céleste sur terre; que peuvent et pourront contre les paroles des Dieux abrahamiques, chacun ayant le sien, les paroles diplomatiques, politiques, les résolutions onusiennes, européennes ?), Salah nous fait prendre conscience des complexités, des ambiguïtés (ce mot est important chez lui; je pense qu'il accepte les ambiguïtés, qu'il ne cherche pas à les lever, façon de maintenir la dialectique agissante) de la dangerosité de cette région du monde dont les secousses, les séismes n'ont pas fini de nous ébranler. Il est évident que la création d'Israël en 1947-1948 est l'origine de cet abcès. L'attitude deux poids, deux mesures des États-Unis, selon qu'on est juif ou palestinien, nourrit la haine des uns et des autres. L'immense richesse due au pétrole et au gaz, inégalement répartis, ajoute aux risques de généralisation des incendies, au propre.

Salah Stétié, c'est clair, souhaite la séparation du spirituel et du temporel comme Abdelwahab Meddeb, il est laïque et donc une exception en cette partie du monde, pas prête à renoncer aux dits d'en haut du très Haut. Il souhaite la paix mais tant d'autres préfèrent les braises, l'enfer sur terre au nom du paradis ailleurs. Il a payé cher puisque pendant la guerre civile, outre les balles qui ne l'ont pas atteint, il a perdu ce qu'il possédait à Beyrouth (les pillards et les squatters ont eu raison de lui et même après la guerre, il n'a rien pu récupérer). Dépossession comme la vivent tant de gens devant fuir les fous de Dieu. Je comprends mieux l'attachement à l'argent de Salah, pas trop mais ce qu'il faut pour vivre et assurer l'avenir de Maxime comme de Caroline.

Salah assume ses amours et ses haines. Avec le temps, il n'est pas devenu sage mais a réduit sa surface d'exposition quoique faisant une dizaine de voyages dans le monde par an, toujours invité à des manifestations prestigieuses pour y porter sa parole. Il revendique son oeuvre pour 2000 lecteurs sachant lire. Il y a une croyance en la force, la durée, l'éternité de l'oeuvre qui me semble excessive. Je ne crois plus à cette ultime illusion. Ses références à la modernité selon Baudelaire et quelques autres, à de grands formulateurs en poésie, ses réquisitoires contre la fausse poésie, la littérature romanesque de consommation, ses liens avec les artistes peintres et sculpteurs pour des livres d'artistes et des oeuvres que j'ai pu voir au Musée Paul Valéry de Sète, c'est la face créatrice, ouverte de l'homme, ouvert à l'inédit, à l'inouï, au neuf, au départ dans l'affection et le bruit neufs, à l'imagination de l'obscur, du centre obscur.

Alors c'est qui l'extravagant, c'est quoi l'extravagance. Le verbe est employé une fois (page 544, "car c'est sans doute extravaguer que de vouloir raconter sa vie") et "extravagant", deux fois. Salah raconte bien des épisodes de sa vie avec les autres, contre certains autres. Il raconte bien sa présence au monde, ses combats dans ce monde de bruit et de fureur où la raison a peu de place, où les pulsions meurtrières rassemblent, dressent, séparent, où la justice est sans cesse bafouée, où l'incendie se propage menaçant présent et avenir. C'est le monde qui est extravagant, qui délire. Et les diplomates avec leurs rituels hypocrites, leurs discours incompréhensibles, codés, les politiques avec leur vision bornée de l'Histoire dont ils font une machine broyeuse d'hommes et de femmes ajoutent à ce délire du monde où les intérêts priment, financiers d'abord. Mais l'extravagant est aussi le poète, celui qui ne parle pas le langage commun, celui qui fait advenir du sens autre, d'autres façons de parler le monde et l'homme. Il y a du mystique (le soufisme en particulier) chez Salah. Et les pages sur sa vie à Trembay sur Mauldre, au milieu de ses chats, des fleurs et des abeilles sont pour moi parmi les plus belles avec celles sur l'enfance à Barouk. J'y retrouve ce qui me suffit, à la fois rétrécissement (ma juste place, une toute petite place éphémère) et élargissement (ma restitution matérielle et immatérielle au Ventre-Mer), les augures d'innocence de William Blake :

Voir un Monde dans un Grain de sable

Un Ciel dans une Fleur sauvage

Tenir l'Infini dans la paume de la main

Et l'Éternité dans une seconde.

Jean-Claude Grosse, Le Revest, le 28 novembre

(le 29 novembre à 21 H, cela fera 4 ans déjà)

L'Extravagance/Mémoires de Salah Stétié

On ne paie pas/Dario Fo/Théâtre de Privas

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On ne paie pas, on ne paie pas/

Dario Fo/

Théâtre de Privas

Sur Privas et son théâtre (40 ans)

J'ai vu les 2 dernières représentations de On ne paie pas, on ne paie pas de Dario Fo dans une mise en scène de Joan Mompart, spectacle produit par la Comédie de Genève, dirigée par Hervé Loichemol que j'avais accueilli au Revest avec son chapiteau blanc pour Lettre au directeur du Théâtre de Denis Guénoun, texte que Les Cahiers de l'Égaré ont édité (4 éditions). C'étaient les 2 et 3 décembre 2014, au Théâtre de Privas, scène conventionnée. Le Théâtre de Privas a programmé deux fois, cette farce politique, seul théâtre en Rhône-Alpes à recevoir ce spectacle de qualité et d'actualité. Les prescripteurs institutionnels doivent bouder ce genre de théâtre. Une salle quasiment pleine le 2, une salle aux 2/3 le 3 soit entre 1100 et 1300 spectateurs pour une ville de 8000 habitants, une ville-préfecture en panne dans un département pas mieux loti qui mise sur l'espace de restitution de la Grotte Chauvet, ouverture en avril 2015. Un public mêlé, jeunes et anciens, enthousiaste, ovationnant l'équipe, 5 comédiens dont le porte-parole le plus en vue des intermittents pendant le mouvement de l'été dernier, Samuel Churin. Évidemment, nous eûmes droit à la petite fantaisie de dernière avec l'irruption intempestive de Privas dans le texte et un court fou rire, perçu comme hors-jeu par le public et applaudi comme tel. Ce fut un bon public, les jeunes ayant reçu la visite du directeur du théâtre, Dominique Lardenois, en amont. (Pour la petite histoire, faut bien que je l'écrive en pointillé, Dominique Lardenois a signé sa première mise en scène au Revest, sur une commande que je lui ai faite : Les tragédiennes sont venues de Saint-John Perse, en 1986.) Dossier pédagogique de grande qualité, enseignants mobilisés, débat après spectacle, bref, action culturelle, école du spectateur comme cela se pratique depuis de nombreuses années dans de nombreux lieux. Cela fidélise, fédère, rassemble, éduque, initie, fait découvrir.

La programmation du Théâtre de Privas est très éclectique et cela est nécessaire si on ne veut pas laisser sur le bord de la route, des fractions entières de territoires et de populations. C'est ainsi que des spectacles sont décentralisés, que le camion à histoires de la compagnie Lardenois en est à plus de 500 représentations de Terrible, un spectacle pour les 3-6 ans qui reçoivent en cadeau une poupée tracas guatémaltèque en sortant des 14 mètres carrés du camion. Avec ses 4 roues motrices, il est prêt à aller dans les Balkans, en Russie, en Afrique après avoir sillonné l'Ardèche, le Sud-Ouest, la Bretagne, l'Île de France mais pas le Sud-Est ni Le Revest.

M'étant promené le 4 décembre au matin dans la ville avec lui, j'ai pu me rendre compte de la « popularité » de Dominique Lardenois qui a, pour les 40 ans du Théâtre, réalisé un historique détaillé qui sert et servira aux suivants. Ouvert, on lui parle aisément, on lui fait des retours. Il connaît bien, après 11 ans d'exercice et 3 changements de municipalité, droite, gauche, droite, à peu près idem pour le département, les arcanes, les hommes et femmes qui comptent un temps, les enjeux, dans l'immédiat : la rénovation-modernisation du Théâtre sinon il périclitera. Être directeur dans un territoire en panne, où les moyens sont en régression, demande d'autres compétences que celles seulement de directeur artistique, pourtant déjà difficiles, puisqu'il s'agit de résoudre la quadrature du cercle. Il faut aussi savoir naviguer, adapter le projet aux publics et aux tutelles. On ne peut rester accroché à ce qu'on croit être sa mission au service des artistes. Le Forum du Blanc-Mesnil et quantité d'autres lieux ont connu de sérieux désagréments avec des changements de municipalité, les nouvelles reprochant aux équipes en place leur élitisme, leur avant-gardisme. J'ai connu ce sort là en 2004, ayant trop défendu l'indépendance de la culture par rapport au politique. Un récent débat dans Le Monde sur le Forum du Blanc-Mesnil a montré le grand écart entre une équipe dévouée aux artistes et une nouvelle municipalité affirmant la culture est partout avec des portraits d'habitants sur des panneaux d'affichage.

Lors de cette promenade, je vois soudain un uniforme qui en jette. Je me précipite :

  • Bonjour monsieur, puis-je savoir ce qu'est cet uniforme ?

  • Préfet

  • Ah, très beau, monsieur le Préfet et où allez-vous de ce pas décidé ?

  • Fêter la Sainte-Geneviève avec mes gendarmes.

Dominique me présente, JCG ancien de Saint-Cyr.

  • Tiens, mon fils a aussi fait Saint-Cyr. Il est capitaine et vient de rentrer d'Afrique où il a participé à Serval. Et vous ?

  • Moi, j'ai fait Saint-Cyr entre 1959 et 1961, l'époque de l'OAS et l'Algérie de septembre 1962 à février 1964. J'ai démissionné en avril 1964.

Encore quelques mots, en particulier sur la nécessaire modernisation du Théâtre, avant que les gendarmes ne viennent entourer le Préfet.

Je vais fouiner dans la librairie La Fontaine de Privas. Excellemment achalandée. Bravo au libraire. Je tombe sur Brouillons d'un baiser, Premiers pas vers Finnegans Wake de James Joyce que j'achète et lis dans le train qui me ramène au Sud, là où le temps fait des siennes plus qu'ailleurs. 50 pages précédées par une préface de Marie Darrieussecq et une introduction de Daniel Ferrer et voilà la plupart des écritures disqualifiées tant la créativité joycienne fait merveillemouche. Toutefois d'abord & avant toutes choses, avant qu'il teste son triangle afin d'éprouver si elle était ainsi que le rapportaient les journaux, une virgo intacta, il lui demanda si elle ne s'était jamais complue à la fornication clandestine avec ou sans contraceptifs... J'ai bien raison de renoncer à tout un tas de livres mais mes choix en deviennent très difficiles parce que trop exigeants peut-être. Viva de Patrick Deville est une récente bonne découverte, avec des personnages auxquels je me suis attaché dans ma vie, Trotsky, Lowry, Frida Kahlo, Traven, Cravan...

On ne paie pas, on ne paie pas, la farce et ses représentations

Une farce de deux heures qui a connu 3 écritures, 3 versions du final, 1974, 1991 et 2008, farce en mouvement pouvant intégrer selon les pays et époques, des éléments d'actualité, le reste étant fixé et ne prêtant pas à improvisation.

Suite à une hausse des prix dans un supermarché, les femmes d'un quartier ouvrier, excédées par ces hausses à répétition, décident de ne pas payer leurs courses. Antonia a suivi le mouvement et a participé à ce pillage du supermarché, entraînant une voisine dans son vol, « légitime », Margherita. Mais Giovanni, le mari d'Antonia est légaliste, donc Antonia et Margherita doivent cacher leur butin. Et la police est chargée de fouiller toutes les maisons de ce quartier d'ouvriers. Alors s'enchaînent les situations burlesques. Antonia doit improviser avec sa voisine pour empêcher les questions curieuses des uns et des autres et le contrôle de l'appartement. Giovanni et le mari de la voisine, Luigi, ouvriers et amis mais en désaccord sur comment s'en sortir se font berner par les femmes, eux-mêmes bernant la police et la gendarmerie. C'est efficace, délirant, caustique. Dario Fo s'en donne à cœur joie pour dénoncer le capitalisme mais ce n'est jamais une farce à lecture unilatérale. Il y a toujours point, contrepoint. Ça fonctionne par rebondissements et par duos, les femmes, les hommes, les policiers. On court, on cache, on raconte des bobards énormes, Margherita est enceinte, elle perd les eaux, Antonia subit une transplantation de nourrissonné comme écrirait Joyce. Même le boiteux du rire que je suis est entraîné par la mécanique. Ma voisine de droite s'esclaffe bruyamment sur toute allusion au corps de la femme. Mon voisin de gauche chante l'Internationale quand elle est chantée sur le plateau au moment du plus beau tableau, la présentation commentée du célèbre tableau, Il Quarto Stato de Pellizza da Volpedo. Un silence profond de la salle, l'expérience de l'effet immédiat de saisissement par une œuvre majeure, cette marche sans peur de centaines de prolétaires vers nous, vers où. Cette mise en scène virevoltante se déroule dans une scénographie où tout bascule, où tout balance, magnifique métaphore visuelle et spatiale de notre monde en crise comme la cabane en situation de bascule de Charlot dans La ruée vers l'or.

Jean-Claude Grosse

On ne paie pas/Dario Fo/Théâtre de Privas
On ne paie pas/Dario Fo/Théâtre de Privas

Viva/Patrick Deville

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Viva

Patrick Deville

Seuil, août 2014

Présenté comme un roman, Viva comporte 30 chapitres fort documentés sur des personnages qui ont marqué, Trotsky, Lowry, Frida Kahlo, Diego Rivera, Traven, Cravan, Artaud, Breton. Cela se passe au Mexique dans les années 30 pour l'essentiel mais comme certains de ces personnages sont des errants, des exilés, des clandestins, l'auteur nous fait voyager là où le hasard, le destin les ont conduits, jamais pour longtemps. Je dis hasard, destin, sans trop chercher à distinguer les deux notions. Disons que hasard me semble convenir pour parler du moment où ça surgit, où ça arrive, que destin me semble approprié après coup, quand on sait ce qui a surgi, ce qui est advenu. Ce qui semblait ne pas être écrit d'avance, après coup semble l'être, illusion d'optique : ce n'était pas écrit d'avance mais quand c'est enfin écrit, ça semble une évidence. Les péripéties incroyables accompagnant l'écriture d'Au-dessous du volcan (que j'ai dans l'édition « définitive » de Buchet-Chastel de 1960) illustrent me semble-t-il mon propos. Lowry ne semble pas savoir ce qu'il démarre et qui lui demande dix ans d'efforts, de déménagements et déambulations (en particulier vers Vancouver dans une cabane où tout ce qu'il a écrit brûle), sa femme d'alors, Margerie, se mettant entièrement au service de cette écriture (tous les deux en paient le prix) mais quand paraît le livre en 1947, il est évident que c'était pour cela, pour ce livre, que Lowry avait vécu ces 10 ans, la disparition du consul, son assassinat par des fascistes le traitant de bolchevik, anticipant la sienne propre quelques temps après, étouffé par ses vomissures. On pourrait presque faire le même constat avec Trotsky qui alors qu'il est au faîte de sa puissance comme chef de l'Armée Rouge va se reposer, se ressourcer, se remettre à sa place, sa toute petite place, dans une nature sauvage qui l'apaise, le ramène à ses justes proportions, à sa juste mesure, pendant que dans son dos à Moscou conspire Staline. L'homme complet Trotsky, à la fois homme d'action et homme de contemplation, de réflexion, de grande écriture n'a pas su, n'a pas voulu peut-être au moment crucial redevenir homme d'action, de décisions fulgurantes, éliminer Staline et c'est lui qui est d'abord effacé des mémoires, des livres, des photos, lui qui est calomnié, déporté, exilé et qui finira par être éliminé physiquement, assassiné par un tueur qui finit ses jours à La Havane au pays de Castro, ce dont parle le roman, L'homme qui aimait les chiens de Leonardo Padura, paru en 2011.

La riche documentation de Patrick Deville, qu'il est allé chercher sur le terrain, mériterait qu'on lise ce roman avec un planisphère Mercator devant soi, un peu comme celui dont disposait Trotsky. En plus du planisphère, il faudrait une éphéméride. Et studieusement noter dates et lieux pour pleinement savourer toutes ces coïncidences mises en avant par l'auteur, coïncidences qu'il est seul à repérer, les protagonistes de l'histoire les ignorant et n'en ayant cure puisque repérées après coup. On est donc dans une histoire rapportant des faits mais aussi dans une histoire construite. La plume qui raconte est aussi plume qui relève, souligne. Ce n'est donc pas un roman-documentaire objectif, c'est impossible, c'est un roman documenté mettant l'accent sur ce qui apparaît à l'auteur comme devant être relevé, souligné, un roman où le présent occupe une place importante puisque l'auteur qui connaît la suite de l'Histoire (en gros, une Grand-Roue Ferris qui tourne où ceux qui sont en haut ne vont pas tarder à se retrouver en bas, où les perdants d'aujourd'hui seront les gagnants de demain) peut évoquer la suite des coïncidences comme dans l'insurrection zapatiste des indiens du Chiapas avec le sous-commandant Marcos en 1994, le surgissement d'un portrait d'Antonin Artaud au milieu des portraits du Che et de Zapata.
Je dois dire que ma culture politique d'ancien trotskiste (dès qu'il y a un regroupement de 6 trotskistes, il y a scission, dit l'auteur et c'est presque vrai et c'est le problème) et que ma culture littéraire n'ignorant rien des auteurs et artistes évoqués m'ont beaucoup aidé. Je n'ai à aucun moment été égaré par cette profusion d'informations « érudites ». C'est donc une lecture passionnante que j'ai faite, me replongeant dans les enfers de ces hommes et femmes, joués et jouant, quêteurs d'absolus, la révolution, l'oeuvre, l'alcool, l'amour, les femmes... Les citations d'oeuvres sont stimulantes. Y a t-il un héritage, que devient-il, comment tourne la Grand-Roue Ferris ?

Jean-Claude Grosse

Viva/Patrick Deville

Histoire du mémorial de Cyril Grosse au Baïkal

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Je mets en ligne ce jour, 19 septembre 2014, cet article du 19 septembre 2013, consacré à l'histoire du mémorial de Cyril Grosse à Baklany au Baïkal. C'est le jour du 13° anniversaire de sa disparition à Cuba avec son oncle, l'artiste-peintre Michel Bories, à 16 H, heure de là-bas, à Jaguëy-Grande.
JCG

Et voilà que le mémorial dédié à Cyril Grosse à Baklany au Baïkal devient récit, légende dans un article en russe d'août 2013 et que je reçois ce jour, 19 septembre, jour de sa disparition, il y a douze ans, à Cuba
le mémorial est déjà un point de repère pour les navigateurs grâce au mât qu'on ne voit pas sur la photo mais qu'on voit en fin de la vidéo
et les touristes s'y rendent en bateau l'été quand il n'y a pas tempête
on comprend pourquoi je préfère
ce lieu en pleine nature (ours côté terre, omouls côté lac et mouettes sur l'île à côté de Baklany qui m'a inspiré L'Île aux mouettes, 2012 Les Cahiers de l'Égaré)
au carrefour de Jaguey-Grande à Cuba appelé triangle de la mort

je me suis fait traduire tout l'article et j'ai mis en français quelques bribes à partir desquelles on peut retracer l'histoire ou conter la légende ayant conduit à l'édification de ce mémorial en 2002 ; c'est Anatoli Baskakov, metteur en scène avec lequel Cyril a travaillé, qui a fourni les éléments permettant de corriger les légendes qui circulent autour du mémorial (qui était-ce ? comment est-il mort ? pourquoi un Français ici ?)

j'étais allé à Baklany en août 2004 avec la mouette à tête rouge et j'y suis revenu en août 2010 pour les 10 ans du séjour là de Cyril G.; ce fut le Baïkal's Bocal

je reviendrai à Baklany pour un bocal sur le thème du mémorial, d'un mémorial universel et éternel, symbolique, faisant appel à des écrivains et à un artiste architecte

JCG

История одного памятника

Histoire d'un mémorial

07 августа août 2013 10:40:03

Гранитная черная плита как память об ушедшем из жизни французском режиссере Сириле Гроссе установлена прямо в скале, в труднодоступном месте Байкала, на мысе Бакланьем. С каменной плиты на вас смотрит красивый молодой человек. Подпись на памятном знаке гласит: «Сирил Гросс. Французский режиссер, друг и любимый. Здесь часть его души и наша память».


Несмотря на то, что добраться до этого места можно только вплавь, видно, что памятный знак часто посещают. В этом необычайно красивом диком уголке природы, у плиты Сирила Гросса, всегда свежие цветы, и все прибрано. Мало кто знает, кто и зачем установил этот знак. И кто такой был этот самый Сирил Гросс. За более чем 10 лет существования плиты начали складываться легенды, слухи об этом человеке. Кто-то рассказывает, что французский режиссер якобы погиб на Байкале во время работы. Другие и вовсе рассказывают небылицы, одна страшнее другой. Как выяснилось, пролить свет на эту загадочную историю может только один человек – Анатолий Баскаков. Рок, судьба, мистика, случайность - в этой истории все переплетается как в замысловатом фильме. Однако то, о чем нам поведал известный режиссер, было на самом деле.

Встреча, подготовленная судьбой (la rencontre bâtie par le destin)

-- Моя первая встреча с Сирилом Гроссом состоялась в 1998 году. Но до этого встреча наша как бы уже была подготовлена (la rencontre était prédestinée, préparée). Судьбой или роком. (par le destin ou le roc, le roc étant en russe le destin inévitable, une sorte de fatalité, le sort, c'est très fort comme sens) Потому что так получилось, что наши судьбы перекрестились задолго до нашего знакомства, – говорит Анатолий Баскаков.

Знакомство двух именитых режиссеров состоялось на престижном международном театральном фестивале во Франции в 1998 году. Но задолго до этого во Франции вышла книга известного французского писателя и журналиста, где, в том числе, немало внимания уделялось Молодежному театру. Начинающая молодая французская актриса Катя Гросс (родная сестра Сирила Гросса) решила во что бы то ни стало своими глазами увидеть уникальный театр в Сибири и приехала в Улан-Удэ. Художественный руководитель театра Анатолий Баскаков радушно принял девушку. Она посещала занятия режиссера, репетиции, принимала участие в работе над спектаклями. Понятно, что, кроме театральных занятий, девушку-иностранку нужно было провожать до дома, показывать город, помогать освоиться в незнакомом месте. Эту задачу на себя взял молодой парень Виктор, который тоже мечтал стать актером, был близким другом театра. Молодые люди полюбили друг друга, и вскоре Виктор переехал жить во Францию. Где, кстати, стал успешным актером.

В 1998 году на фестиваль «Пассаж» «Молодежку» пригласило именитое жюри, которое тщательно отбирало лучшие театры мира. К приятному удивлению Анатолия Баскакова, его театру уделили сразу четыре фестивальных дня. Среди гостей и зрителей фестиваля был и французский режиссер Сирил Гросс.

Уникальная биография (biographie unique)

Несмотря на свой возраст (27 лет) il avait 27 ans, французский режиссер уже к тому времени был известен в своей стране, имел собственную театральную компанию.

-- Мы в России понимаем под словом «театр» какое-то здание, помещение. Но в мировой театральной практике все по-другому. Театр – это не помещение, а та продукция, которую создает театр. У них это называется театральная компания. То есть группа лиц во главе с директором. Они могут находиться как в своем здании, так и арендовать помещения, гастролировать. Финансируют эти театры многочисленные специализированные фонды, - разъясняет Анатолий Баскаков.

Так вот, к тому времени театральная компания Сирила Гросса уже была сформировавшейся, известной и довольно успешной. Но еще интересней, как молодой человек пришел к своему успеху. История жизни юного режиссера поразила Анатолия Баскакова.

-- Когда Сирил еще учился в школе, он организовал свой театр. Играли в нем его друзья, ровесники (дети друзей родителей) и взрослые (друзья семьи). Уже в школе Сирил поставил несколько своих спектаклей. Завоевал детские премии за свои творческие успехи. Кто обычно создает пришкольные театры? Педагоги, актеры. А тут школьник сам его создал, сам писал сценарии, сам ставил спектакли. Так началась его большая театральная карьера, - рассказывает Баскаков.

К моменту знакомства с другим театральным лидером – Баскаковым - Сирил был уже известен во Франции, и его будущее, по мнению театральных критиков, должно было быть более чем блестящим и многообещающим.

«Это возможно» le projet (c'est possible)

Познакомившись на фестивале и подружившись, две творческие личности решили сделать что-то вместе. После дискуссий появилась идея – организовать проект, которому до этого времени не было аналога в мире. Создать зеркальный русско-французский театр.

-- Это значит, мы делаем один театр, сочетая французскую и российскую театральную культуру. Создаем французско-российскую труппу. Которая будет ставить все, что связано с авангардной Европой, и все лучшее, что впитала в себя русская классическая театральная культура. То есть мы будем работать в разных направлениях и жанрах и будем делать зеркальные спектакли. Французские и русские актеры изучают языки друг друга. Актеры смешиваются. Два худрука ставят один и тот же репертуар во Франции и в России, - объясняет Баскаков.

Идея смелая, но у окружающих она почему-то не вызвала доверия. Профессионалы, критики - словом, все высказались однозначно: «Это невозможно». (c'est impossible disaient les professionnels de faire un tel projet double, franco-russe)

-- Разный менталитет, разное понимание театров, театры различны по структурам. Красиво придумано, но это просто невозможно - так нам говорили, - вспоминает Анатолий Борисович.

Тем не менее проект решили осуществить и дали ему знаковое название «Это возможно».
До Сирила Гросса и Анатолий Баскакова такими проектами не занимался никто. Поэтому подготовка осуществлялось архисерьезно. Первую, самую главную часть работы решено было делать в Бурятии.

-- Для этого его люди приехали к нам сюда на 3 месяца (pour 3 mois). Но в городе, в республике нам бы мешали. Нам нужно было уединение. Мы должны были изолироваться и жить в каком-то отчуждении от Франции и России. Мы хотели создать свою труппу. А для этого нам надо было оказаться одним целым. И мы нашли место, где нет телефонной связи, нет посторонних, где нет даже дорог. Добраться туда можно только вплавь лодками или кораблями. Это место – мыс Бакланий, стык Прибайкальского и Кабанского районов. (cet endroit c'est Baklany, à la jonction entre deux régions, Pribaïkalski et Kabanski)

Полная изоляция (isolement absolu)

Месяц два театра жили в такой изоляции. Вместе кололи дрова, (ensemble couper du bois) вместе добывали, (ensemble chercher les provisions) гото вили еду (préparer à manger). Не было гостей или начальников. Все равны. (tous égaux) Дежурства, (tour de garde et responsable du camp, un par jour) холод, зной, дожди - все делилось поровну между французами и русскими актерами, работниками двух театров.

-- Цель была – полное единение коллектива (un seul but, la constitution d'une seule troupe). Понятно, что у каждого свои пристрастия, свой норов. Нам нужно было не просто сказать, что мы вместе, а на самом деле быть вместе. Не формально, через силу, а просто подружиться. Если надо – поругаться, потом помириться. Надо было просто жить. И делать проект.

Параллельно с притиркой людей друг к другу постоянно шли репетиции. Баскаков выбрал для постановки «Женитьбу» Гоголя.

-- А Сирил решил поставить произведение своего сочинения под названием «Все хорошо, но среди нас один лишний» (Tout va bien mais l'un de nous est en trop). Страшное название, (un titre terrible qui a eu un impact dans le réel) в конце концов воплотившееся в жизнь, - замечает Анатолий Баскаков.

В результате колоссальной работы двух театров родилось два спектакля. Состоялась премьера в Улан-Удэ, потом в Москве в Центральном доме актера. Затем во Франции. Первый в своем роде уникальный международный театральный проект наделал много шума. Во Франции впервые заговорили о Бурятии, узнавали, что такое Сибирь, Молодежный театр. Было решено, что спустя какое-то время проект будет иметь свое продолжение.

Кубинский «КамАЗ» Kamaz cubain (le camion cubain était un camion russe Kamaz)

Параллельно так случилось, что дочь Анатолия Баскакова Даша и Сирил Гросс решили создать семью. Красивая любовная история переросла в конкретные планы. Уже было куплено жилье во Франции. Назначена дата свадьбы. Во Франции событие должно было состояться осенью, в России, по желанию, Сирила – ближе к зиме. Он очень хотел увидеть настоящую русскую зиму, снег. (il voulait vivre un vrai hiver russe) Но этим планам не суждено было сбыться. (mais ces plans n'ont pas eu le temps de se réaliser)

Перед тем как поставить еще один свой новый спектакль, Сирил Гросс решил поработать вдали от всех. И вместе со своим дядей, художником, они выбрали для творческого уединения Кубу. На фоне красивой природы, вдали от всех, художник должен был рисовать картины, а Сирил – писать пьесу.

Время было распределено по дням и часам. После Кубы Сирил должен был встретиться со своей любимой в аэропорту Парижа. Затем, сразу после премьеры спектакля, должна была начаться подготовка к свадьбе. Но за день до своего отъезда из Кубы Сирил с дядей решили полюбоваться дикой природой Кубы и поехали в глубинку страны. Для путешествия был арендован автомобиль. Никто не знает, как и почему это случилось. Но спустя пару часов автомобиль был обнаружен искореженным и буквально смятым в лепешку. Водитель грузового «КамАЗа» рыдал и уверял, (le conducteur du camion pleurait, disait que ce n'était pas sa faute) что не виноват в случившемся. В машине, которой управлял Сирил, не выжил никто. Он сам, его дядя и двое попутчиков–миссионеров погибли на месте аварии мгновенно.

Знак памяти (le signe de mémoire)

Сирилу не было и 31 года. (Cyril allait sur ses 31 ans) Тем более удивительно, как много всего успел сделать за такой короткий срок этот необычный человек. Издано несколько его книг. Проделана колоссальная работа. Создан уникальный международный театр. А еще за это время он успел сродниться с Россией и нашей республикой. Где осталась частичка его души. (où est restée une partie de son âme) В память о нем (en sa mémoire) Анатолий Баскаков и друзья Сирила и установили памятный знак. Именно на том месте, где когда-то он жил, творил, любил. (à l'endroit même où il a vécu, jadis, créé, aimé)

-- Похоронен он далеко во Франции, на именном кладбище в Пиренеях. Там тишина, слышно только пение птиц – райское место. Но так как не все люди из России могут туда попасть, а любили его и знали в нашей стране многие, мы решили соорудить этот памятный знак. Чтобы в России осталась о нем память, - заключает Анатолий Баскаков.

Василиса Шишкина, «Номер один».

Vassilissa Shishkina journal N°1

L'homme qui aimait les chiens/Leonardo Padura

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L'homme qui aimait les chiens

Leonardo Padura

Métaillé 2011

(note de lecture mêlant analyse du roman et histoire personnelle, Histoire et histoires,

donc note de lecture "atypique", un peu à la manière de Padura, finalement, avec son personnage Ivan)

C'est parce que je racontais Viva de Patrick Deville à une ex comme moi, une ex-trotskiste, une amie, qu'elle me proposa L'homme qui aimait les chiens. J'avais lu de lui une nouvelle dans un recueil Havane Noir, trouvé par hasard dans un Replay de grande gare, alors que me travaillait une pulsion d'écriture remettant au cœur d'un récit familial et personnel, Cuba, pulsion devenue Tourmente à Cuba puis L'éternité d'une seconde Bleu Giotto.

J'avais occulté Cuba pendant 12 ans jusqu'à ce jour de septembre 2013 où fut annoncée en mensuelle des EAT, la création d'un festival de théâtre francophone à La Havane pour mars 2014, avec appel à textes traduits. J'y ai envoyé sans succès Tourmente à Cuba. Mais je ne désespère pas de faire entendre ce texte à Cuba même, à La Havane comme au Triangle de la mort à Jaguey-Grande, pour les champs d'orangers.

Dès le 1° chapitre, le narrateur Ivan raconte l'effet sur sa femme, Ana, en train de mourir d'un cancer des os, d'un ouragan en train de menacer Cuba, l'ouragan Ivan. Coïncidences.

Quand nous perdîmes à Cuba, à Jaguey-Grande, Cyril, le fils et Michel, l'oncle de Cyril, le 19 septembre 2001, ce fut un choc qui emporta sans doute ma femme, Annie, d'un cancer foudroyant, en un mois, le 29 novembre 2010 ; nous fûmes stupéfaits à l'époque de l'accident d'apprendre que l'ouragan Michel du 19 octobre 2001(1 mois après) avait balayé sur son passage la signalisation (contestable et sans doute responsable) du carrefour surnommé le Triangle de la mort, constatation qui amena Annie à se rendre à cinq reprises à Cuba, la Russie au soleil, nous avait dit Cyril. L'auteur lui, nous parle de Moa, ville minière comme d'une Sibérie cubaine, page 149. Or Cyril est allé 2 fois en Sibérie, au Baïkal en 1999 et en 2000 pour sa dernière création. Moi, j'y suis allé, sur ses traces, en 2004 et 2010. Le vieux monsieur de 88 ans de L'éternité d'une seconde Bleu Giotto y retournera en 2028. Coïncidences.

3 niveaux de récit donc dans cette histoire, le présent du narrateur, ami d'Ivan, racontant l'histoire que lui a livré Ivan en 2004, Ivan amené par son amour des chiens (les 3 personnages principaux aiment les chiens comme Padura aime la nouvelle de Chandler, L'homme qui aimait les chiens, miroirs, abîmes) à se promener sur la plage de Santa Maria.

Sur cette plage de Santa Maria, l'oncle Michel peignit ses 50 dernières gouaches, récupérées, dont une intitulée Les 2 fillettes au chien, réalisée le 13 septembre 2001, un jour après leur arrivée à Cuba (ils étaient partis le 11 septembre 2001, le jour des attentats, et décidèrent de poursuivre leur voyage malgré 13 heures d'attente en salon VIP à Madrid, à l'inverse de la majorité des passagers, rebroussant chemin). Cette gouache illustre la couverture du roman de Cyril, Le Peintre, trouvé inachevé dans son ordinateur mais suffisamment convaincant pour être édité. Coïncidences.

C'est sur la plage de Santa Maria qu'Ivan rencontre l'homme qui aimait les chiens, le 19 mars 1977. Le 5° chapitre est une description très précise du système cubain, du système castriste, un régime où l'idéologie corrompt comportements, relations, où la réalité réelle est escamotée sous des délires verbaux, des bilans tronqués, triomphalistes, exactement les caractéristiques du système soviétique, stalinien, bureaucratique dont Trotski fera l'analyse et la théorie dans La Révolution défigurée et La révolution trahie. Ivan, désenchanté, désespéré par son pays, son temps, par lui-même, sa peur, sa paralysie représente une génération, celle des années 1960-1970, qui y a cru puis qui a cessé d'y croire, de se sacrifier pour la révolution cubaine.

L'Histoire nous rattrape. Après 50 ans de boycott imposé par les USA, donc de souffrances pour les Cubains mais aussi d'alibi pour les deux systèmes, Castro et USA, en miroir dans leurs discours (voir pour l'assassinat de JFK et les tentatives d'assassinat de Castro) les relations vont peut-être se rétablir. Et les Cubains entrer dans la société de consommation.

On lira avec profit les livres (des pavés très documentés) d'un Français, vivant à Cuba par choix, Jacques-Antoine Bonaldi (que j'ai reçu au Revest le 7 juillet 2014 avec sa femme, metteur en scène cubaine et qui participe au projet d'écritures plurielles, Cervantes-Shakespeare, hasardantes coïncidences) : L'empire US contre Cuba (le mépris et le respect), 2 tomes; Cuba, Fidel et le Che. Bonaldi est aussi le traducteur du livre d'un ethnologue cubain majeur : Controverse cubaine du tabac et du sucre. "Fernando Ortiz est le premier à expliquer l'identité cubaine par le questionnement de l'agriculture et des rouages économiques. Par le concept de Transculturation, Ortiz a pu confronter données historiques et démographiques à des considérations géographiques, tout en les intégrant dans un texte qui, inspiré d'une forme dialogique issue de la musique cubaine, propose une expérience de la diversité et de la rencontre des cultures à l'origine de la formation sociale cubaine." Traducteur enfin de Lettres de José Marti, Il est des affections d'une humeur si délicate ... Comme quoi, un drame personnel peut gouverner vos lectures partiellement, parce que vous voulez comprendre Cuba, parce que votre fils y a disparu. Annie avait beaucoup lu sur Cuba et nous avions accueilli une jeune cubaine, Rosa, gagnante du concours de la francophonie organisée chaque année par les Alliances françaises. Elle a ensuite dirigée la Maison Victor Hugo à La Havane. Coïncidences.

Le 2° niveau concerne Lev Davidovitch, Trotski. Le chapitre 4 par exemple est remarquable pour sa tentative de conscientisation ; quelles questions, quelles réponses apportent Trotski quand il voit la dégénérescence du système, son pourrissement, sa trahison ; où se situent les responsabilités, en a-t-il ? Kronstadt, fut-ce une erreur ? et la terreur au moment de la guerre civile ?, justifiée dans Leur morale et la nôtre (militant trotskiste pendant 12 ans, je me suis souvent demandé comment nous nous comporterions si nous arrivions au pouvoir, ce qui était peu probable; la violence me paraissait nécessaire puis peu à peu je me suis détourné de cette conviction qui justifie tout; voir ma note sur La dernière génération d'octobre de Benjamin Stora); quel combat mener ? à l'intérieur du Parti ? à l'extérieur ? avec qui ? des écrits suffisent-ils ? comment Staline a-t-il réussi à s'approprier l'héritage ? Ce qui m'a frappé c'est comment Staline use en quelque sorte du langage religieux qui crée des absolus, fabrique des messianismes pour mener son projet ; il est l'incarnation de l'Idée, de la Révolution ; est contre-révolutionnaire, trotskiste tout ce qui s'oppose à l'Idée. C'est simple, radical comme les exécutions capitales. On assiste à la mise en place d'un système particulièrement pervers : pour asseoir son règne, Staline a besoin de Trotsky comme opposant, traître. C'est l'absolu repoussoir, le bouc émissaire justifiant tout, les purges, les mensonges. Il faut Trotski vivant, et isolé, calomnié. Et le socialisme étant en cours de réalisation en URSS, étant même réalisé (alors que la famine sévit), il ne faut pas que les communistes allemands par exemple fassent alliance avec les socio-démocrates pour empêcher l'avènement d'Hitler, aveuglement qui va conduire Hitler au pouvoir en 1933 et les communistes allemands en camp. Avec ces deux ennemis, Hitler et Trotski, Staline assoit son pouvoir absolu. Curieusement, l'opportuniste n'est pas Trotski mais Staline qui va en Espagne dans un premier temps favoriser l'alliance des communistes minoritaires avec socialistes et anarchistes et ce Front Populaire va gagner les élections de 1936 mais retournement d'attitude après le coup d'état franquiste, c'est l'organisation de la division, les exécutions et assassinats, rôles de Kotov-Leonid Eitingon, d'Africa, de Caridad, de Ramon. Et le pacte germano-soviétique viendra rajouter encore à la confusion idéologique, ces tournants étant imposés et justifiés par la formule irréfutable, le parti a toujours raison, tu dois obéir.

Comme on le voit ce roman est presque un manuel d'histoire plongeant les personnages dans le grand bain historique des années 1920 à 1980 et aussi un manuel de réflexion politique sur le trotskisme, le stalinisme, le marxisme-léninisme, sur le socialisme réel, sur la bureaucratie. Le chapitre 10 raconte en détail les années 1933-1936, les années d'exil, d'errance de Trotski sur la planète sans visa et montre comment la peur asservit, mécanisme parfaitement compris par Staline. Ce que dit Boukharine page 179, parlant de lui, de sa peur, de son retour à Moscou est on ne peut plus éclairant. Peut-on tirer des leçons de l'histoire quand le moteur est la peur et les effets imprévisibles qu'elle engendre ? On peut transposer en partie au comportement des intégristes islamistes qui eux usent de la terreur médiatisée. Mêmes mécanismes.

Le 3° niveau concerne Ramon Mercader, l'assassin de Trotski, le 20 août 1940 à Mexico. Le chapitre 3 par exemple raconte comment sa mère Caridad, une passionaria remplie de haine, a réussi à lui arracher le oui qui allait faire de lui, un tueur formé pour cela, es-tu prêt à renoncer à tout ? Le renoncement n'est pas qu'une consigne, c'est une forme de vie, est-ce que tu pourras ? page 47, sa mère le quittant après ce oui en tuant son chien Churro d'une balle en pleine tête. Avec ce oui, c'est toute sa vie que Ramon met en jeu, son arrestation une fois son forfait accompli, son jugement, ses 20 ans de prison au Mexique, sa libération en 1960, son retour en URSS, les médailles prestigieuses, ses privilèges (tout cela au prix d'une seule chose, le silence, ne pas dire qui il est, qui est le commanditaire), l'impossible retour en Espagne, la fin de vie à Cuba, atteint d'un cancer généralisé, sans doute irradié par les staliniens et le dessillement de Ramon par Kotov-Eitingon lui-même (chapitre 29 de la 3° partie, Apocalypse), son mentor revenu de ses illusions, aveux confiés à Ivan qui se sent écrasé par cette merde qui a coûté 20 millions de morts, a perverti à jamais l'idéal de la révolution, Ivan écrasé au sens propre par la chute de son toit sur lui et son chien peut-être au passage d'un ouragan (chapitre 30, Requiem).

Ces 3 niveaux alternent allant vers un dénouement connu d'avance, comme dans la tragédie grecque (page 124 en bas). Mais les étapes ne sont pas connues d'avance. Tout l'intérêt est là. Des parcours d'individus plongés dans les tourments collectifs de l'Histoire en train de se faire et de se défaire, révolution et thermidor, contre-révolution, restauration, communisme et fascisme. S'étonnera-t-on que les PC subordonnés à Staline et à ses successeurs n'aient pas joué leur rôle de moteur des luttes émancipatrices (68 en est une démonstration exemplaire) et conséquemment aient perdu de plus en plus de leur influence, la classe ouvrière se tournant pour une bonne part vers le Front National. Faut-il s'étonner aussi de la défiance envers les partis, de l'abstention massive, de la démocratie en panne, d'une constitution obsolète qui aurait dû être abrogée en 68, de l'apparition de tout un tas d'autres formes de luttes, parfois violentes, d'autres formes d'organisation. Ce qui s'est joué entre 1923 et 1940, Staline-Trotski, on en a les conséquences massives encore aujourd'hui. Le bilan globalement positif de Marchais Georges est un mensonge.

Je n'irai pas plus loin dans ma note qui mêle volontairement anecdotes personnelles et description de ce roman dont j'ai du mal à cerner la part documentaire (bien documentée) et la part fictionnelle (réelle et importante). En tout cas chapeau à Leonardo qui par son écriture magnifique, phrases longues, élégantes, précises, (apparemment, excellente traduction de René Solis de Libération) nous fait entrer dans les personnages, aucun n'est un repoussoir, beaucoup d'empathie comme on dit pour chacun d'eux même Mercader, la fin étant une réflexion sur la compassion, Ivan a envie de compatir au destin de Ramon et en même temps ne peut pas. Il nous restitue contexte historique, paysages, enjeux, nous amène à nous positionner, à nous questionner. C'est du polar politique porté au plus haut niveau.

Une question toutefois: Padura ne fait-il pas de Trotski un personnage peut-être trop tourmenté, trop sujet à découragement politique même s'il se reprend à chaque fois ? Sans doute parce qu'il a travaillé à partir de la biographie d'Isaac Deutscher, Trotski, le prophète armé, le prophète désarmé, le prophète hors-la-loi en 3 tomes (le mot prophète disqualifie en partie cette biographie). Il ne devait pas connaître le monumental et décisif Trotski de Pierre Broué chez Fayard.

On n'a pas le même Trotski chez Deville et chez Padura. Chez Deville, il est combatif et s'accorde parfois le temps de vivre, de soigner les lapins, de pécher, de contempler la nature désertique, glacée d'Alma-Ata, un peu comme Rosa Luxembourg dont les lettres de prison révèle un goût de la vie tout simple mais permettant de supporter ou comme Simone Weil, l'auteur de La pesanteur et la grâce et de La condition ouvrière (dont elle parle en allant travailler en usine), qui semble avoir été sensible un court temps aux idées trotskistes, d'après Deville. C'est le pacifisme qui l'en éloignera et le chritianisme.

Pour terminer, encore une anecdote perso.

Je suis né 2 mois après l'assassinat de Trostki (le 20 août 2040), le 25 octobre 1940, jour selon le calendrier russe de la révolution d'octobre, le 25 octobre 1917. J'en ai fait un poème dans La Parole éprouvée, Les dits d'octobre, dédié à Léon Trotski avec 4 couplets, du 25 octobre 1967 au 25 octobre 1997. Rajouterai-je un couplet pour le centenaire le 25 octobre 2017 ? En tout cas, je ne me sens en charge d'aucun héritage, d'aucune mission messianique, d'aucune lutte émancipatrice. J'ai choisi une vie minuscule et des actions de colibri.

Un autre poème est écrit à Coyoacan, le 21 août 1970, Mésallier les mots, Coyoacan étant le quartier de Mexico où se trouve la maison bleue de Frida Kahlo qui accueillit Trotski qui l'aima et celle où fut assassiné Trotski, toutes deux devenues musées. Pour ce poème, j'ai pensé au Manifeste pour un art révolutionnaire indépendant du 25 juillet 1938, signé André Breton et Diego Rivera mais dont Patrick Deville écrit dans Viva qu'il est pour une bonne part de Trotski, Breton étant trop intimidé pour écrire quelque chose de cohérent politiquement (pages 166-167). Toute licence en art est de Trotski, formule à appliquer aux polémiques contre des manifestations artistiques, qu'elles soient de droite extrême ou d'extrême-gauche comme celles qu'on a vu en France ces derniers temps contre Rodrigo Garcia ou contre Brett Bailey.

Il faut aussi lire Littérature et révolution. On mesure la capacité d'anticipation de l'évolution des écrivains sur lesquels Trotski écrit, Céline, Malraux par exemple et l'oublié Marcel Martinet, auteur d'une pièce remarquable et devenue introuvable sur 14-18, La nuit (1921), préfacée par Lev Davidovitch. C'est parce qu'il analyse en termes de classes qu'il réussit à dire vers où vont évoluer ces écrivains. Mais je ne suis plus sûr que de telles analyses seraient pertinentes aujourd'hui. La notion de classe a perdu de sa lisibilité au moins pour la classe ouvrière. Les capitalistes eux ont gagné la lutte des classes prétend l'un d'eux, Warren Buffet. Les classes moyennes ne savent toujours pas sur quel pied danser, quel camp choisir mais y a-t-il encore deux camps ? Les partis, machines à produire des professionnels de la politique et le système des élections sont des outils de confiscation du pouvoir, de détournement de la démocratie. Les experts et technocrates gouvernent en toute illégitimité. La rénovation démocratique est un énorme chantier qui doit venir d'en bas mais on n'est pas encore assez le dos au mur, prêts à crever ou à "vaincre". À la Charlot car sûr, Charlot est l'hypothèse démocratique contre tous les pouvoirs, travail, famille, patrie, Les temps modernes, Le kid, Le dictateur. Il court, il feinte, il mouline des bras, il tangente, lui, le précaire, le pas vu, le sans-part, le sans-parti, furieux de vivre alors qu'on n'en veut pas de lui, plus de place pour lui, le fragile, le faible mais le tourneur en ridicule des ridicules, le vengeur des minuscules comme lui, oui, oui, il défile même avec des grévistes, fait la nique à la police, doit souvent fuir, la rue comme échappée. À suivre.

Jean-Claude Grosse

L'homme qui aimait les chiens/Leonardo Padura
L'homme qui aimait les chiens/Leonardo Padura

Cul entre deux chaises / là, Charlie / l'appât Charlie

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Cul entre deux chaises

là, Charlie, l'appât Charlie

Introduction : Quel « gay sçavoir » pour le 3° millénaire ? (texte écrit en 1998). Lien 1

Objet : Tentative d'éclaircissement sur les actes terroristes des 7-8-9 janvier 2015. Liens 2 à 4

Être ému, bouleversé, s'informer pour réfléchir et décider. S'informer pour moi c'est refuser la télé en continu, parcourir un peu la presse connue, un peu d'autres sites d'info alternatifs, un peu ce qui se raconte sur les réseaux sociaux, tout cela très sélectif. Je décide dans un premier temps de me taire puis peu à peu ça s'éclaire. Je décide en raison que je n'irai pas marcher (tout en étant content pour ceux qui ont la nécessité de marcher et pour l'ampleur exceptionnelle du mouvement) ou que je ne suis pas Charlie (sans l'écrire ou le dire, c'est mon opinion, que je n'ai pas envie de partager, d'opposer à ceux qui sont Charlie) ou que je n'achèterai pas le Charlie nouveau, le N° 1178 (dont je ne réclame pas l'interdiction : il a le droit d'exister et je suis libre de l'acheter ou pas).

Me taire :

1 - par respect pour les victimes récupérées, devenant des héros, des porte-drapeaux

2 - par respect pour leur famille, la douleur de ceux qui restent, douleur silencieuse en général (Cabu a été inhumé dans la plus stricte intimité ; à l'opposé, pour Charb, enterrement avec L'internationale ; pour Tignous, Taubira, Liens 17-28-29)

Chercher à y voir plus clair :

3 - voilà les victimes récupérées et les familles évacuées avec leur douleur, leur stupeur par le déferlement médiatique et politique, par l'émotion collective, l'unanimisme de circonstance, grandiloquent,

notre 11 septembre dit-on,

Paris devenue pour quelques heures capitale du monde dit Valls, regardant dans sa petite lorgnette, alors qu'on apprend dans le même temps, les massacres de Boko Aram au Nigéria (2000 morts), peu évoqués, indignant peu ;

toutes les vies n'ont pas la même valeur, toutes les morts non plus ;

la valeur égalité ne peut être sélective. Lien 20

4 - voici la liberté d'expression levée comme un seul homme-femme, elle ne se tronçonne pas proclame-t-on ;

en tout cas, elle se rétrécit partout à coups de lois liberticides, y compris chez nous ;

combien de procès contre Charlie Hebdo avant que tout le monde hypocritement le défende ?

La valeur liberté ne peut être sélective. Lien 19

Crayons répondant aux kalachnikov sur des dessins ; dans le réel, la guerre déclarée et faite des deux côtés, asymétrique…le scénario du choc des civilisations. Liens 16 et 21

Mais crayon, stylo, gomme, taille-crayon, équerre, à quoi ça doit servir ?

à penser, créer, à être, devenir soi (à préciser) ;

si ça sert à répéter des slogans, on n'est qu'un perroquet

5 - voici la république dressée avec des rassemblements spontanés et d'autres organisés, des messes, des Marseillaises (quand changera-t-on ses paroles guerrières ?), des cloches, des glas, des cahiers de condoléances, pas des cahiers de doléances annonciateurs de changements radicaux

6 - il y a des hommages, des légions d'honneur, des héros, des naturalisations ; il y a une journée de deuil national, une minute de silence dans les écoles de France, donnant lieu à brouhaha, chahuts, refus d'obtempérer dans un certain nombre de classes à dominante maghrébine ;

unanimisme fissuré ;

comme s'il suffisait de décréter le silence pour entraîner les petits des quartiers et cités à pleurer les « blasphémateurs » ; ils ont entendu le mot et le répète ; ils sont dans une logique de vengeance ;

et on ne dit pas aux enseignants de susciter discussion ni surtout comment ;

revenir à la laïcité (qu'est-ce pour et dans une société aussi plurielle, aussi hétérogène, aussi clivée, divisée, par exemple est-ce l'indifférence aux religions dont la pratique doit relever de la sphère privée ou Dieu relève de l'intime comme dit Jamel Debouze, Liens 23 et 20) mais comment être laïque dans de telles situations ?

pas du tout facile avec de tels jeunes ; si on montrait comment un « bon » prof s'y prend avec une classe hétérogène ! Lien 10

Déjà les sanctions tombent, l'Assemblée nationale répertorie les cas de bravades, d'apologie du terrorisme, 200 ;

le pouvoir sort renforcé du rassemblement du 11 janvier.

La fermeté, la rigueur de la loi vont l'emporter sur le débat, l'éducation ;

on ne doit rien laisser passer dit-il.

Les juges sont aux ordres : la balance penche, le glaive frappe, le bandeau est enlevé pour voir qui on frappe, ne pas se tromper, des arabes surtout (qui rappelons-le, maghrébins pour la plupart, sont chez nous en relation avec notre passé colonial et post-colonial) ;

la Marine épaulée par la Marianne.

Et les enseignants vont réapprendre aux jeunes les « rites républicains ». Lien 19

Attention à la haine de l'école ! déjà 130 000 jeunes chaque année sortent sans diplôme du système scolaire et leur insertion est extrêmement difficile. 40%, 7 ans après leur sortie, sont au chômage. Une bombe sociale depuis des années malgré les objectifs officiels de 2005.

7 - la récupération politico-médiatique a bien joué, télé-évangélisation ai-je lu ;

présidents, rois et reines, gouvernants, blanchis alors que liberticides pour certains dans leurs pays ; manifestation paradoxale qui rassemble liberticides et libertaires, qui rassemble un large éventail, pas tout le monde mais quand même, c'est plus significatif que les manifs pour tous, hargneuses, disqualifiées pour combien de temps ?

Paradoxale cette unité alors que l'esprit Charlie est un esprit de division, de provocation souvent, genre tête de turc, pas loin du bouc émissaire, un esprit à l'opposé du consensus.

Il faut se redemander ce qu'est la politique : doit-t-elle chercher le consensus ? est-elle rapports de forces s'exerçant dans un cadre institutionnel ? parfois par d'autres voies, désobéissance civile ou violence ?

L'esprit Charlie est à l'opposé de ce qui devrait nous guider : l'esprit de paix, d'apaisement, de développement mutuel.

Les hommes politiques sont des guerriers du verbe qui font faire les vraies guerres aux larbins.

La paix n'est pas leur quotidien ni leur valeur suprême, celle qui doit être au cœur de toute réflexion, de toute action publique.

Charlie, journal irresponsable comme il s'intitule, devient le croisé de la liberté d'expression sans limites, sans souci de la paix civile ou mondiale, contre tout obscurantisme. Quelle bannière ! Charlie fait des rassemblés, en ces jours d'élan populaire, des Charlots parce que les bons sentiments les submergent, récupérés par ceux qui ont les pouvoirs politique et médiatique.

Pour ma part, je ne suis pas allé marcher dans la ville mais dans les collines ;

je n'ai jamais aimé les foules que certains ont nommé peuple (vision, miracle) ;

ce n'est pas dans la foule que je peux vivre ma vie en vérité, vivre mon destin de solitude sous l'horizon de la mort (parce que je me sais et me veux mortel et non immortel) ; ni être solidaire

nous naissons, nous mourons seul ; personne ne naît, ne meurt à notre place ;

c'est cela notre condition, notre vérité et cela qu'il faut penser, activité solitaire :

recherche de la vérité (si je dis ma vérité cela ne relativise pas ma vérité car je suis convaincu que c'est la vérité, j'ai des arguments, pas de preuves mais je ne l'impose pas aux autres qui ont leur vérité également ; je n'en ai pas les moyens et surtout, je ne le veux pas ; on dit tolérance);

cela suffit à montrer que le dialogue n'est pas une fin, parfois un moyen qui arrive rarement à une fin consensuelle ;

le plus souvent, avant la guerre des armes par appui sur boutons et gâchettes (la plus terrible, la guerre civile), on a la guerre pipée des discours ;

dans son dialogue à 7, Heptaplomeres (1586, publié à Leipzig en 1858), Jean Bodin tente de résoudre le problème des guerres de religion (les nôtres d'hier ; aujourd'hui, les arabes ont les leurs, Liens 25 à 27) et fait deux propositions d'actualité,

la séparation de la sphère publique et de la sphère privée, la religion relevant de la sphère privée ;

et religions mises au placard du privé, discussion entre les antagonistes pour définir un bien commun. Lien 13

8 - qui va profiter des crimes ?

l'état d'abord qui renforce les mesures de sécurité en nous déclarant en guerre contre le terrorisme (l'usage de cette expression est politique) pour nous protéger ;

les bisous et applaudissements aux flics n'empêcheront pas les contrôles au faciès, les comportements abusifs de flics ;

déjà plus de 50 comparutions directes car la liberté d'expression a des limites dit la loi qui n'est pas la vie, 50 comparutions pour apologie du terrorisme et déjà des condamnations à de la prison ferme.

Or ces jeunes et moins jeunes terroristes sont nés sur un terreau que nous avons créé, cités, ghettos, pas d'avenir, d'éducation, économie parallèle, passe-droits ;

5000 dit-on dont 1200, partis au djihad, gars et filles (prostituées pour les besoins des guerriers), revenant à un moment, dormants jusqu'à ce que, n'ayant pas besoin d'ordres, ils soient les commanditaires de leurs actions sous le regard d'Allah ou commandités par Daech ou Al Qaida ; infiltration et façonnage, formatage-formation par des organisations à moyens énormes financées par Qatar, Arabie saoudite et grandes banques-relais contre lesquels on ne fait rien, gel d'avoirs, rupture diplomatique, mise au ban de l'ONU sans oublier que ce sont les USA qui ont créé Al-Qaida. Liens 5 à 8 et 18

Le vrai combat est de créer un avenir, pas seulement avec des valeurs

(auxquelles on ne peut croire que si elles ne sont pas à deux vitesses, or la liberté des uns n'est pas celle des autres, le 2 poids, 2 mesures est permanent, par exemple entre Israël et Palestine, en France même entre la communauté juive et la communauté musulmane),

avec du concret, travail, logement, éducation, santé, culture ;

bannir la conception anglo-saxonne du communautarisme, du relativisme culturel ;

mettre au cœur, l'individu, la citoyenneté, la civilité, l'appartenance à la république ;

ascenseur social dans les deux sens

(faire descendre les étudiants des grandes écoles dans les cités pour partager, éduquer, tutorer et faire rentrer dans les grandes écoles des jeunes des quartiers, Liens 22-24)

9 - l'unanimisme de ce 11 janvier est à contre-sens de ce qu'ont été les assassinés ;

les manifestations spontanées des gens sont fortes, sincères, démonstratives, inventives;

énergie considérable qui se déploie mais aura-t-elle des suites au quotidien dans nos rapports humains d'individus ?

3 terroristes provoquent deux raz-de-marée

(contre le terrorisme en Occident qui n'a jamais été terroriste et ne l'est pas selon la vulgate des démocraties aux mains propres ; les terroristes ce sont toujours les autres depuis le 11 septembre (sic);

contre l'Occident du côté du monde musulman) ;

n'y a-t-il pas des raisons à cette haine contre nous, chez nous et chez eux ; est-on sans responsabilités ?

La démocratie et les droits de l'homme ont été l'outil idéologique du combat contre le soviétisme avec succès, justifiant aussi les interventions contre des dictatures (« droit » d'ingérence ; on en voit les effets en Libye et en Syrie).

Mais derrière le paravent idéologique des droits de l'homme, il y a la domination économique, technologique, financière.

Les théoriciens du djihad des pauvres ont bien compris l'usage guerrier des médias et réseaux et combien il est facile de faire la guerre sans armée, avec 2-3 par-ci, par-là qui explosent et s'explosent ; notre détermination pacifique, symbolique ne les émeut pas. Liens 5 à 8 et 18

10 - le coup de génie des manifestations fut d'être silencieuses, sans slogan réducteur, à part, ce qui n'est pas rien, je suis Charlie, auquel d'autres ajoutent, je suis juif, musulman ... ; aucun je suis je, je suis seul ; la communion n'a qu'un temps ;

la solitude est l'essence de l'homme donc l'angoisse ;

cet unanimisme se fissurera très vite mais cette énorme mobilisation indique au pouvoir que ce pays a des ressources insoupçonnées et cela va peut-être modifier la donne ;

le rapport de forces qu'on connait depuis l'après 68 qui se joue à 3-4 % d'un côté ou de l'autre, en une alternance qui nous paralyse et qui est au cœur de notre vie politique, a pris un coup de vieux avec le 11 janvier ;

les politiques vont devoir parier à coup de sondages sur les réactions du peuple, va-t-il ou pas réagir si on fait ci, si on fait ça ou pas ça ;

la polémique, un des outils politiques des professionnels de la politique, va devoir tenir compte de cette volonté exprimée de solidarité, de vouloir vivre ensemble ;

en même temps, nous ne changerons pas nos comportements quotidiens avec nos voisins et dans tout un tas de domaines ;

on ne sera pas plus doux, plus souriant, on ne dira pas plus de choses gentilles ou qui font rire ; mettre de l'huile dans les rouages, les relations humaines, on ne veut pas faire, souvent on n'a jamais appris à faire, ce n'est pas inné, ça s'acquiert mais comment s'apprennent la bien-traitance, la bienveillance ?

on préfère mettre de l'huile sur le feu ;

le 11 janvier pour quelques heures s'est exprimé un raz-le-bol de toutes les séparations, de toutes les maltraitances, de toutes les humiliations, de toutes les injustices, d'une société à 2 et 3 vitesses où les écarts grandissent

11 – à propos de l'interview de Cyrulnik à Bordeaux (Lien 9) : d'accord avec son analyse, à quelques bémols près :

a - il oppose théâtre et philosophie pour éduquer, privilégiant le 1° pour arracher les jeunes en déshérence à l'embrigadement, à l'endoctrinement ;

le théâtre, entreprise commerciale publique et privée qui touche à peine 10% des gens et qui propose aux jeunes l'école du spectateur, ne me semble pas adapté ; ou alors le théâtre comme discipline scolaire pour tous, obligatoire, vecteur d'apprentissage d'autres disciplines ;

la philosophie qui touche quelques individus est exercice solitaire parce que penser est solitaire ; nos enseignants bricolent comme ils peuvent ; ils sont trop seuls ;

que peut le théâtre dans des situations comme la minute de silence exigée par l'état ;

vous imaginez une classe hétérogène mettant en scène ses conflits violemment verbaux après de tels événements ;

ça ne se soigne pas la haine, pas plus que l'amour et tant mieux ;

ces sentiments et ces pulsions, y compris de mort, sont des forces considérables ;

la haine de l'injustice c'est une force, l'amour de la justice aussi.

La question est : Comment réorienter vers de nouveaux objets plus gratifiants, plus humains des sentiments orientés vers la mort de l'autre ?

Au théâtre, je préfère de loin ce qu'a tenté une enseignante, vraie pédagogue ;

son texte mes élèves, un drame et des mots est d'une grande justesse ; elle essaie un vrai travail dialogique, maïeutique (Liens 10-11-19-30) même si on sait qu'une discussion argumentée ne convainc que celui qui veut être convaincu.

Avec Socrate, on répond oui à ses questions et on apprend ainsi qu'on ne sait pas ce qu'on dit, qu'on ne sait rien ; ça semble pipé ;

je me demande comment il s'en sortirait dans les rues d'Athènes aujourd'hui, lui qui voulait éduquer ses concitoyens, les rendre meilleurs, eux qui étaient éduqués par Homère et ses récits où les dieux au pluriel étaient comme les humains, où on apprenait ainsi la distance

(il n'y avait pas pléthore d'oeuvres éducatives ; aujourd'hui combien d'entreprises de décervelage ?) ; ce qui montre la quasi-impossibilité de la démarche éducative (d'élévation) mais qu'il faut faire, pour 1 élève sur 30 (parce qu'il le veut bien, parce qu'il le vaut bien), taux de rendement d'un « bon » prof

b - la mécanique nazie n'est pas identique à la mécanique « terrorisme islamiste » ; s'il y a en commun, la fabrication, si les ressorts sont identiques, peur, haine, idéologiquement c'est très différent, Allah pour les uns, un « absolu » décrété, ce que les nazis ne peuvent fonder avec la race aryenne ;

c - que Cyrulnik ne dise pas un mot sur la plus abominable manipulation, le stalinisme, pose problème ; car le stalinisme c'est par le mensonge et le crime, le dévoiement de l'espoir de millions de gens dans une utopie de justice, d'égalité par un nouvel ordre économique et politique ; le stalinisme a tué l'espoir sans doute pour toujours (le roman L'homme qui aimait les chiens éclaire magistralement cette période noire, page 373 ; Lien 12);

d – en l'absence d'utopie collective, ne pas chercher à en inventer une nouvelle surtout, les besoins spirituels des individus semblent énormes aujourd'hui ; les gens cherchent dans toutes les directions ; par rapport à la consommation outrancière, à ses effets dévastateurs, d'autres voies sont proposées pour trouver du sens, donner de la valeur, vers la sobriété heureuse et autres formules ; pas facile de se repérer ; il faut chercher, chacun pour soi

12 - le FN sort provisoirement affaibli d'après moi de ce 11 janvier,

(la Marine s'est trompée en choisissant Beaucaire) ;

mais il va continuer ses stigmatisations racistes ; il veut rétablir la peine de mort ;

la traque s'est terminée par la mise à mort des tueurs et non par leur arrestation suivie d'un procès car dans les deux cas, ils sont sortis armes à la main et ont donc été abattus.

Antoine Compagnon, l'auteur de Lire Montaigne en été a écrit un article : Tuer un homme, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme.

Est-ce que cette sentence s'applique aux terroristes abattus ?

Est-ce qu'on a tué des hommes ou a-t-on montré notre doctrine en matière de terrorisme ? avertissement aux djihadistes : vous nous tuez, nous vous tuons.

Le bien contre le mal, l'axe du bien contre l'axe du mal, le mal dominant (le capitalisme :1% de riches a 50% des richesses) contre le mal dominé (des humiliés)

encore le scénario du choc des civilisations, de la guerre civile mondiale, le pire.

13 – non, la culture n'est pas le dernier rempart contre la barbarie comme dit un slogan ;

il y a des cultures, elles s'affrontent, elles ne sont pas encore tolérantes envers les autres cultures souvent dénigrées ;

c'est la conception Charlie, j'existe puisque tu es ma tête de turc, pas loin du j'existe parce que tu es mon bouc émissaire

et inversement, j'existe puisque je descends les gens de Charlie

et tout d'un coup, je défends Charlie quand tout le monde s'en foutait ou presque. Lien 14

Décider :

14 – mon nouvel engagement, participer à un groupe colibris au Revest, une agora active, mensuelle ;

on peut apprendre à ne pas confondre avoir envie de tuer et tuer ;

on peut apprendre à socialiser, à sublimer en partie les pulsions barbares pour les mettre au service d'un bien commun ;

je reprends mon rêve de 2003 d'une école de la vie. Lien 15.

Et dans mon quotidien, pratiquer la bienveillance, l'écoute, le sourire, l'humour qui détend, pas celui qui fâche.

Aujourd'hui, les pulsions sont souvent au service de la guerre des uns contre les autres pour des intérêts en espèces trébuchantes, manne terrestre que des affamés de pouvoir veulent s'accaparer : 1% de riches possédant 50% des richesses du monde.

La marche fraternelle du 11 janvier ne peut être le miracle nous sortant de la situation : la France qui va mal est dans un monde qui va très mal, sur une planète Terre qui ne semble pas aller bien du tout.

N'y a-t-il qu'une issue ? L'horizon de la mort existe pour chaque individu, pour chaque civilisation comme disait Valéry. On peut donc penser que cela vaut aussi pour l'humanité.

Pour que le problème du mal soit enfin réglé, est-ce une question de temps et de patience ?

1° rencontre des colibris, le 25 janvier 2015, de 17 à 19 H puis auberge espagnole

15 - liens :

1- http://les4saisons.over-blog.com/page-6620386.html

2 - http://www.rtl.be/info/monde/france/michel-le-patron-de-l-imprimerie-temoigne-on-est-reste-une-heure-a-discuter-et-je-leur-ai-offert-le-cafe-video--690727.aspx

3 - http://m.marianne.net/Il-etait-parti-pour-me-tuer-je-n-ai-pas-baisse-les-yeux_a243824.html

4 - http://www.lemonde.fr/societe/article/2015/01/13/c-est-charlie-venez-vite-ils-sont-tous-morts_4554839_3224.html

5 - http://www.atlantico.fr/decryptage/al-qaida-trois-prochaines-cibles-organisation-terroriste-en-france-samuel-laurent-al-qaida-en-france-seuil-1563993.html

6 - http://www.atlantico.fr/decryptage/al-qaida-qu-aurait-fallu-faire-pour-eviter-implantation-massive-reseau-terroriste-en-france-al-qaida-en-france-samuel-laurent-1565928.html

7 - http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/04/28/al-souri-le-cerveau-du-djihad-des-pauvres_3167899_3232.html

8 - http://www.madaniya.info/2014/11/19/l-avant-garde-combattante-des-freres-musulmans/

9 - http://link.brightcove.com/services/player/bcpid3353344780001?bckey=AQ~~,AAABJqdX_vk~,FMAd6xUAgai9-Tbfcq2VmUiOgwSGwxf3&bctid=3979593465001

10 - http://www.chouyosworld.com/2015/01/14/mes-eleves-un-drame-et-des-mots/

11 - http://www.aline-louangvannasy.org/2015/01/lettre-a-ma-fille-au-lendemain-du-11-janvier-2015-par-jmg-le-clezio.html

12 - http://les4saisons.over-blog.com/2015/01/l-homme-qui-aimait-les-chiens-leonardo-padura.html

13 - http://russeurope.hypotheses.org/3253

14 - http://blog.mondediplo.net/2015-01-13-Charlie-a-tout-prix

15 - http://les4saisons.over-blog.com/page-6620394.html

16 - http://www.mondialisation.ca/imperialisme-guerres-humanitaires-theorie-du-choc-des-civilisations-les-non-dits-de-la-superproduction-occidentale-je-suis-charlie/5424931

17 - http://youtu.be/l8u7eWzmyOQ

18 - http://www.liberation.fr/monde/2015/01/14/daech-escompte-des-situations-de-guerre-civile_1180804

19 - http://www.regards.fr/web/article/charlie-hebdo-vallaud-belkacem-ne

20 - http://videos.tf1.fr/sept-a-huit/attentats-le-cri-d-alarme-de-jamel-debbouze-8548969.html

21 - http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Choc_des_civilisations

22 - http://les4saisons.over-blog.com/article-pour-une-ecole-du-gai-savoir-pour-une-refondation-de-l-ecole-111160002.html

23 - http://www.libre-penseur-adlpf.com/2015/01/henri-pena-ruiz.html

24 - http://www.metronews.fr/culture/charlie-hebdo-luc-besson-lisez-sa-lettre-ouverte-a-ses-freres-musulmans/moal!Unb4oAuQJMhdg/

25 - http://blog.oratoiredulouvre.fr/2014/10/tres-profonde-lettre-ouverte-au-monde-musulman-du-philosophe-musulman-abdennour-bidar/

26 - http://tenoua.org/hommage-elsa-cayat/

27 - http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4983699

(Salah Stétié interrogé le 8 janvier 2015 sur France-Culture)

28 - http://youtu.be/CCvpWhlo4Js

29 - http://youtu.be/jzovg9fxb_I

30 - http://www.humanite.fr/michel-sparagano-les-larmes-daverroes-563013

31 - http://fr.wikipedia.org/wiki/Attentat_contre_Charlie_Hebdo

32 - http://fr.wikipedia.org/wiki/Attentats_de_janvier_2015_en_France

33 - http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/210115/qu-est-ce-que-ca-fait-d-etre-un-probleme

34 - http://www.larevuedesressources.org/un-vrai-juif-comment-je-suis-devenu-un-ecrivain-juif,2788.html

Jean-Claude Grosse

Cul entre deux chaises / là, Charlie / l'appât Charlie
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